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LE CHÂTEAU AVENTUREUX

— Oui, j’aime d’amour, et jamais pucelle n’aima si fort ! Il y paraîtra assez, car, si celui que j’aime me repousse, je me tuerai de ces deux mains. C’est le plus beau chevalier du monde, celui qui remporta le prix du tournoi : il est mon corps et mon cœur, ma joie et ma douleur, toute ma richesse et toute ma pauvreté, ma mort et ma vie. Fussé-je sur une tour haute de cent toises, je sauterais vers lui, s’il était au pied, car je sais bien qu’amour, qui est seigneur de tous les seigneurs, me protégerait et que je n’aurais aucun mal. Prenez pitié de moi, ou il ne me reste qu’à périr.

— Allez vous mettre au lit, dit la vieille ; je vous l’amènerai. Et je n’en sonnerai mot : croyez que le vent parlerait plutôt que moi.

Elle prit un manteau et s’en fut dans la chambre de Bohor. Quatre cierges y brûlaient, si bien qu’on y voyait très clair, et il ne dormait pas encore, tant il était las de sa journée.

— Beau sire, lui dit la nourrice après l’avoir salué, ma demoiselle m’envoie pour se plaindre de vous à vous-même : vous lui avez méfait de deux façons. Tout d’abord parce qu’il avait été convenu que le vainqueur du tournoi la prendrait pour femme : en ne le faisant pas, vous lui avez causé honte et tort. Puis, parce qu’elle est bien bonne à marier : si vous étiez courtois, vous ne l’eussiez pas oubliée quand vous avez désigné des époux aux autres. Aussi vous envoie-t-elle