Page:Bouniol - Les rues de Paris, 1.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toire espagnole, mais un sujet puisé dans notre propre histoire, cela eût paru singulier, extravagant. Corneille, si en avant de son siècle par son génie, plutôt que de lutter, afin d’imposer sa volonté, préféra subir le joug, passer sous les fourches caudines, et, malgré le succès du Cid, importuné des clameurs opiniâtres de ses adversaires, et du tolle « de la docte cabale d’Aristote, » il abandonna la veine féconde qu’il avait fait soudainement jaillir, pour se vouer presque exclusivement à la tragédie rétrospective dont l’histoire romaine faisait tous les frais.

Hâtons-nous de dire que, ce système admis, il en a tiré tout le parti possible ; il ne saurait y avoir qu’un cri sur la vigueur et la puissance de ses conceptions, le pathétique de certaines scènes, l’étonnante vérité dans les mœurs et le dialogue, la grandeur des caractères et cet art de ressusciter en quelque sorte les personnages les plus illustres de l’histoire qui parlent aussi bien et mieux qu’ils n’ont dû parler. On ne s’étonne donc pas de ce cri d’admiration échappé à Turenne pendant une représentation de Sertorius :

« Où donc Corneille a-t-il appris l’art de la guerre ? »

Aussi, jugeant au point de vue de l’art, on ne peut qu’applaudir La Bruyère quand il dit :

« Corneille ne peut être égalé dans les endroits où il excelle ; il a pour lors un caractère original et inimitable, mais il est inégal. Ses premières comédies sont sèches, languissantes et ne laissaient pas espérer qu’il dût aller si loin ; comme ses dernières pièces font qu’on s’étonne qu’il ait pu tomber de si haut… Ce qu’il y a en lui de plus éminent c’est l’esprit qu’il avait sublime, auquel il