Page:Bouniol - Les rues de Paris, 2.djvu/194

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mère et de la fille, que celle-ci, sentant la mort venir, souffrait moins de sa maladie et de ses douleurs que de son impuissance, inquiète de l’avenir pour celle qu’elle allait laisser seule. Aussi, déjà presque mourante, par un suprême effort, elle ressaisit sa plume et recommanda sa mère au ministre de l’instruction publique, M. Guizot[1], dans des vers qui sont des meilleurs qu’ait faits Élisa et où vibre l’accent d’une sincère émotion ; cette prière jaillit du plus profond du cœur :

Dans une route défleurie,
Sous un ciel froid qu’oublie un soleil bienfaisant,
Je n’ai rencontré pour ma vie
Qu’indigence, regrets, vains désirs… et pourtant
J’ai peur de la quitter cette existence amère,
Et je viens vous crier : Sauvez-moi pour ma mère !
Pour elle qui, sans moi, ployant sous le chagrin,
Seule au monde de l’âme, à ceux dont sa misère
En cherchant la pitié trouverait le dédain,
Irait, dans sa douleur cruelle,
Dire : « Ma fille est morte, oh ! donnez-moi du pain !
« Du pain, je n’en ai plus, pauvre enfant, c’était elle
« Dont le sort faisait mon destin. »
Ah ! que ce cri jamais à ses lèvres n’échappe ! etc.

Ces vers, écrits par une agonisante, prouvent qu’Élisa était peut-être plus réellement poète qu’on ne le penserait d’après son recueil, venu prématurément et avant la saison, pareil à ces fleurs qu’une chaleur factice fait éclore dans la serre au risque d’épuiser la plante. Rien

  1. Outre les secours immédiats, M. Guizot accorda une pension à la mère d’Élisa.