Page:Bouniol - Les rues de Paris, 2.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sire de Joinville, le roi, lui disait-on ironiquement, s’il ne vous croit pas contre tout le conseil. »

Un peu déconcerté de ce blâme presque unanime, Joinville le fut bien davantage, quand, l’heure du dîner venue, le roi, près duquel il était assis comme à l’ordinaire, pendant tout le repas ne lui adressa pas une seule fois la parole : « Je cuidai vraiment que il fut courroucé à moi… Tandis que le roi disait ses grâces, je m’en allai à une fenêtre ferrée qui était en une reculée (embrasure) devers le chevet du lit du roi ; et tenais les bras parmi les fers de la fenêtre… et pensais que si le roi s’en venait en France, je m’en irais vers le prince d’Antioche qui me tenait pour parent…. En ce point que j’étais illec (là), le roi se vint appuyer à mes épaules et me tint ses deux mains sur la tête. Et je cuidai que ce fût monseigneur Philippe d’Anemos, qui trop d’ennui m’avait fait ce jour pour le conseil que j’avais donné ; et dis ainsi :

« Laissez-moi en paix, monseigneur Philippe. »

« Par mal aventure, au tourner que je fis ma tête, la main du roi me toucha le visage ; et je connus que c’était le roi à une émeraude qu’il avait en son doigt. Et il me dit :

« Tenez-vous tout coi ; car je vous veux demander comment vous fûtes si hardi que vous, qui êtes un jeune homme, m’osâtes louer ma demeurée, encontre tous les grands hommes et les sages de France qui me louaient l’allée ?

« — Sire, fis-je, dans mon cœur je jugeais mauvais-tié ce conseil des barons, comment vous l’aurais-je pu donner ?

« — Dites-vous donc que je ferais mal si je m’en allais ?