Page:Bouniol - Les rues de Paris, 2.djvu/62

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« Je ne vous ai pas encore parlé de ma bonne et pauvre mère. Il faudrait de trop longues lettres pour vous dire tout ce que notre réunion me fait éprouver de triste et de doux. Elle a eu bien des chagrins, et moi-même je lui en ai donné de grands par ma vie éloignée et philosophique. Que ne puis-je les réparer tous, en lui rendant un fils à qui aucun de ses souvenirs ne peut reprocher du moins de l’avoir trop peu aimée.

» Elle m’a nourri de son lait, et jamais », me dit-elle souvent, « jamais je ne persistai à pleurer, sitôt que j’entendis sa voix. Un seul mot d’elle, une chanson arrêtaient sur le champ mes cris et tarissaient toutes mes larmes, même la nuit et endormi. » Je rends grâce à la nature qui m’avait fait un enfant doux ; mais jugez combien est tendre une mère qui, lorsque son fils est devenu homme, aime à entretenir sa pensée de ces minuties du berceau.

« Mon enfance a pour elle d’autres sources de souvenirs maternels qui semblent lui devenir plus délicieux tous les jours…. Ma jeunesse fut plus pénible pour elle… Elle me vit partir… et depuis que je l’eus quittée, je ne me livrai qu’à des occupations qui ressemblent à l’oisiveté, et dont elle ne connaissait ni le but ni la nature. Elles m’ont procuré quelquefois des témoignages d’estime, des possibilités d’élévation, des hommages même dont j’ai pu être flatté. Mais rien ne vaut, je l’éprouve, ces suffrages de ma mère. Je vous parlerai d’elle pendant tout le temps que nous nous reverrons, car j’en serai occupé tant que pourra durer ma vie[1] ».

  1. Lettre à Madame de Beaumont. — 1800.