Page:Bouniol - Les rues de Paris, 2.djvu/67

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sont plus ; c’est du fond du cœur que ce titre vient se placer sous ma plume… J’aime en vous, et vous, et votre frère, et votre amie, et ce pays qui m’a tant plu et des souvenirs que mon âme gardera précieusement.

« Vous êtes un dépôt que vos malheurs m’ont confié ; un dépôt que je dois garder et conserver à tous les prix ; un dépôt que je veux mettre à ma portée pour veiller sans cesse sur lui. Oui, je vous veux auprès de moi, et je me veux auprès de vous. À quoi sert tout ce que je vous dis et tout ce que je pourrais vous dire ? Je répands de bonnes liqueurs dans un vase rempli de larmes ; il faudrait d’abord les détourner et les tarir et nulle main ne peut le faire, si ce n’est peut-être la mienne. Je la consacre à cet emploi[1] ».

La main que Joubert offrait si noblement fut acceptée, le mariage se fit à Paris et sans bruit, à cause de la gravité des circonstances (on était au mois de juin 1793). Puis les deux nouveaux époux allèrent habiter Villeneuve qui, par une exception rare, hélas ! en ces temps désastreux, avait échappé aux passions qui remplissaient nos villes de troubles et de dangers. Mais Joubert, dans le calme et la sécurité de sa retraite, ne pouvait être indifférent aux malheurs publics, et nous en voyons la preuve dans cette phrase de son journal : « La Révolution a chassé mon esprit du monde réel en me le rendant trop horrible. »

Un jour, il apprend que, dans un château situé à quelque distance de Villeneuve, une famille tout entière, celle de M. de Montmorin[2] ancien ministre des

  1. Correspondance de Joubert.
  2. M. de Montmorin fut une des victimes des massacres de septembre.