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AVERTISSEMENT

frontispice de leurs Poëmes. J’omets les passages de ces Auteurs, que Mr de Sainte-Palaye rapporte.

Ces Chroniques étoient conservées dans les Archives de S. Denis, et ces Archives étoient regardées comme un dépôt public, que l’on consultoit dans les affaires les plus considérables. S’agissoit-il de rechercher les usages anciens pour constater le Cérémonial, ou d’éclaircir les Généalogies pour assurer l’état des Princes ? Survenoit-il des contestations sur le point d’honneur, ou des procès entre les grands Vassaux pour la possession de leurs terres ? on ouvroit les Chroniques de S. Denis : les réponses qu’elles rendoient étoient regardées comme des oracles. Mr de Sainte-Palaye apporte des preuves de tous ces faits.

Il n’appartenoit qu’à un homme d’Etat, capable des vues les plus étendues, de concevoir le projet d’un si bel établissement. Aussi Mr de Sainte-Palaye en fait-il honneur à Suger Abbé de S. Denis, qui non content d’avoir formé le plan de ce grand ouvrage, voulut laisser à la postérité le modele qu’il falloit suivre dans l’éxécution. Au milieu de ses grandes occupations, il trouva le tems d’écrire l’histoire de son siécle, et ne crut pas que cet emploi fut au-dessous du rang qu’il tenoit dans l’Etat. Ce sentiment a beaucoup de vraisemblance, sur-tout si l’on fait attention que la partie des Chroniques, qui précede la Vie de Louis le Gros écrite par Suger, n’est que l’assemblage de plusieurs Historiens compilés par un seul Écrivain, qui n’en a fait qu’un corps ; et que c’est seulement à la Vie de Louis le Gros traduite dans les Chroniques que l’on commence à avoir une suite non interrompue d’Auteurs contemporains, qui ont écrit successivement l’histoire des regnes, sous lesquels ils vivoient. Enfin avant Suger il n’est fait aucune mention de l’établissement qui subsista si long-tems pour la promulgation de l’histoire ; et presque immédiatement après lui il en est parlé comme d’un établissement en regle, revêtu même du sceau de l’autorité roiale.

Il est très-difficile de déterminer au juste le tems au quel les Chroniques de S. Denis ont été traduites en François. Le Moine Rigord avoit inseré dans la Vie de Philippe Auguste la suite des Rois de France jusqu’à ce Prince. La traduction Françoise de Rigord dans l’imprimé et dans le ms. de S. Germain des Près pousse cette suite depuis Philippe Auguste jusqu’à Philippe le Hardi. On lit dans l’imprimé après le nom de ce Prince ces paroles, qui regnoit en 1274. d’où il s’ensuivroit que l’année 1274. seroit antérieure à la traduction Françoise. Le ms. de S. Germain au lieu du mot regnoit porte ceux-ci, qui or regne en 1274. Mr de Sainte-Palaye prétend que ces paroles fixent d’une manière incontestable à la cinquiéme année du regne de Philippe le Hardi l’époque de la traduction Françoise des Chroniques de S. Denis : et il lui paroît vraisemblable que Guillaume de Nangis en fut le premier auteur : car d’une part, dit-il, on y retrouve presque mot à mot la traduction qu’il avoit donnée de sa propre Chronique Latine, et d’autre part le Prologue des Chroniques de S. Denis ressemble en plusieurs endroits à celui qu’il avoit mis lui-même à la tete de sa Chronique Françoise.

Les paroles du ms. de S. Germain prouveroient seulement que la traduction Françoise de Rigord a été faite en 1274. mais je ne crois pas qu’on en puisse inferer que le Traducteur de Rigord ait aussi traduit le commencement des Chroniques jusqu’à Philippe Auguste, ni qu’il soit Auteur des Traductions des Vies suivantes. J’avois même cru d’abord qu’on ne devoit faire aucun fond sur le ms. de S. Germain ; et je conjecturois qu’il pouvoit y avoir faute, et qu’au lieu de ces paroles qui or regne, il falloit lire qui ot regné. Je ne voulois pas cependant