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jacques et marie

sentit au moins cet intérêt qu’on ne peut pas refuser à un rival qu’on sent digne de l’être.

Après ce premier moment donné à la curiosité des yeux, Winslow pria George de lui servir d’interprète, et de poser au prisonnier les questions suivantes :

— Quel est votre nom ?

— Jacques Hébert.

— Vous êtes fils du nommé Pierre Hébert qui a laissé Grand-Pré en 1749 pour se réfugier sur le territoire français ?

— Oui.

— Vous avez pris du service dans le corps de M. de Boishébert ?

— Oui.

— Avez-vous été gracié au fort Beauséjour ?

— Non, je n’étais pas dans la place, je n’ai pas été fait prisonnier.

— Alors vous avez continué à porter les armes contre nous ?

— Oui, et j’ai surpris et détruit un corps des vôtres, commandé par le capitaine Gordon, sur le Haut-Coudiac.

— C’est vous qui conduisiez cette expédition qui s’est souillée de tant d’atrocités ?

— Oui, c’est moi qui ai pu venger une partie des maux et des injustices dont vous avez accablé ma famille et mes compatriotes depuis tant d’années.

— Quand vous avez été arrêté, aviez-vous quitté le service de l’ennemi ?

— Oui, temporairement.

— Que veniez-vous faire ici ?

— Profitant de la liberté que me laissait l’expiration d’un premier engagement, je venais satisfaire à une promesse faite à une famille que je croyais honnête, méditer sur les lieux les moyens d’arracher ce pays au pouvoir de l’Angleterre, et soustraire ses Habitants au traitement infâme qu’il subissent aujourd’hui.

— Y avait-il entente entre vous et votre commandant ?

— Non.

— Où avez-vous laissé le corps dont vous formiez partie ?

— Sur le territoire français.

— Mais à quel endroit ?

— C’est une question qui peut s’adresser à un transfuge ; mais comme elle n’est pas nécessaire au jugement que vous devez prononcer sur moi, je n’y réponds pas.

— La réponse pourrait peut-être alléger la sentence… vous sauver de la mort…

— Je ne tiens pas à ces adoucissements.