Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
souvenir d’un peuple dispersé

sollicitations de la part des soldats et des agents de la France, pour persuader aux Acadiens de se soustraire à l’autorité des conquérants, furent fréquentes et vives. Mais aucun fait sérieux n’a prouvé qu’elles aient réussi à faire commettre un acte de trahison à ces âmes loyales, pour qui la parole d’honneur valait un serment. Au contraire, les propos malveillants que les Canadiens leur jetaient en toute occasion, les provisions que leur arrachait de force le corps expéditionnaire de M. de Villiers et la captivité de plusieurs habitants de Grand-Pré, entre autres du vieux notaire LeBlanc, qui fut retenu pendant quatre ans à Louisbourg, comme citoyen anglais, prouve leur fidélité à la Grande-Bretagne. D’un autre côté, il est évident que les Anglais leur reconnaissaient bien le caractère de neutres, puisqu’ils ne leur demandèrent aucuns services militaires durant toute cette guerre.

En 1748 fut signée la paix d’Aix-la-Chapelle. En Amérique, les belligérants rentrèrent dans leurs anciennes possessions ; mais comme ces possessions avaient des limites fort incertaines, une des stipulations du traité de paix laissait à une Commission le soin de les définir : nouveau nœud gordien resté entre les deux peuples, pour amuser, pendant quelque temps, la fine diplomatie, mais qu’il fallut bien trancher.

Le peu de connaissance que l’on avait de ces contrées, lors des traités antérieurs, avait laissé tant de vague dans les termes de ces pièces publiques, que chaque nation prétendait bien, en fin de compte, posséder la moitié de ce que l’autre réclamait. Le Conseil des arbitres n’était pas encore nommé que déjà les gouverneurs s’empressaient d’occuper tout ce qui paraissait leur convenir, et de fonder des établissements solides là où ils n’avaient fait que passer.

En Acadie, aussitôt la paix signée, un des premiers soins de Mascaren fut de forcer les habitants voisins du golfe St-Laurent à jurer foi et hommage à son souverain, dans les termes communs à tous les sujets anglais. Puis il chassa le curé de Grand-Pré, qu’il accusait d’exciter le peuple à la désertion et à la révolte.

Dans le même temps, les gouverneurs du Canada renouvelèrent leurs sollicitations auprès des Acadiens pour les décider à venir se fixer sur les côtes septentrionales de la Baie de Fundy, qu’ils prétendaient posséder, ainsi que toute la rive sud du Golfe St-Laurent, jusqu’à l’île du Cap-Breton. On offrait de mettre à leur disposition les subsides nécessaires à ce déplacement, d’autres terres, des provisions et la protection du drapeau de la France. Plusieurs familles se laissèrent, dès lors, entraîner par l’attrait de ces propositions ; devant la nouvelle attitude du gouvernement britannique,