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jacques et marie

cuvée ! P’tit-Toine, tu vas conduire Wagontaga et Sakiamistou par l’allée de lilas, à l’endroit où tu as pu mieux observer les sentinelles, et tu reviendras aussitôt. Vous autres, ajouta-t-il en s’adressant aux deux sauvages, suivez le petit camarade, ajustez bien les deux soldats qu’il vous montrera ; en entendant mon signal, abattez-les et courez à la porte qu’ils gardent ; retenez-la fermée si vous pouvez ; et si on la force, repoussez à l’intérieur ceux qui voudraient passer, ou tuez-les sur le seuil. Ne vous occupez pas de ceux qui pourront s’échapper par les fenêtres latérales ; il n’y a que les domestiques qui puissent avoir le pied assez leste pour passer par là, et nous avons mieux à faire qu’à tuer des marmitons !… Ne poursuivez personne, mais à mon appel, vous viendrez me rejoindre derrière la grange.

Les deux sauvages sortirent avec leur guide.

— Maintenant, poursuivit Jacques ! mettons de suite le feu aux quatre coins de ce bâtiment : entassons ici, au milieu de l’aire, vingt-cinq bottes du foin le plus sec, pour faire un brasier à part. Aussitôt qu’il sera suffisamment enflammé, cinq d’entre nous… vous Dupuy, Foret, Cotard, Bastarache, Doncet, vous irez prendre dans le bûcher que vous voyez là, tout près, chacun un vigoureux rondin, et vous enfoncerez ensemble les cinq fenêtres de la salle à manger ; et, vous plaçant ensuite de côté, pour ne pas être vus, vous recevrez à la brèche, avec vos bâtons, tous ceux qui voudraient s’y montrer ; et nous, armés de ces fourches que nous venons de heurter, et qui nous ont été laissées ici tout exprès, nous accomplirons le reste… Il nous faut aussi notre feu de joie !… Mais surtout, n’oubliez pas de laisser courir les fuyards !…

Une partie de ces dispositions étaient exécutées ; le brasier de réserve venait d’être allumé, les hommes allaient sortir, quand quelqu’un vint ouvrir vivement la porte cochère qui servait à communiquer de la place à la cour. Un frisson vint glacer tous ces aventuriers énergiques qui, tenant déjà sous la main leur terrible vengeance, redoutaient tout ce qui pouvait la leur ravir ; ils restèrent cloués comme les statues du silence dans une inquiétude mortelle. Des pas s’avancaient vers eux…il n’y avait qu’un homme… mais P’tit-Toine s’en revenait dans ce moment ; il pouvait le rencontrer, se troubler et tout compromettre.

Jacques, qui avait vu le lieutenant quitter la salle à manger, soupçonna que ce pouvait être lui… En effet, après être sorti de la maison où il ne pouvait songer à passer le reste de la nuit, George venait, sans domestique, seller son cheval pour s’enfuir du côté d’Halifax, où il espérait rejoindre Winslow. Il touchait à la porte