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TROISIÈME PARTIE.



I

Cinq années de combats continuels et acharnés suivirent ces événements. En Canada, l’attention générale des colons fut toute absorbée par cette lutte gigantesque qu’entreprit de soutenir une poignée d’hommes héroïques pour garder à la France la moitié d’un continent, et repousser de leurs foyers une domination abhorrée. Toutes les passions individuelles se concentrèrent dans cet intérêt urgent de l’honneur national et du salut de la patrie. Chacun fit taire ses propres douleurs, oublia ses malheurs, ses pertes, ses jouissances envolées ou différées, pour ne songer qu’au danger commun, au danger présent ! La vie de la famille fut interrompue, arrêtée comme le soleil sur l’armée de Josué, pour laisser le peuple combattre ; on ne pensa plus au bien-être du foyer qu’on avait payé si cher, on fit taire chez soi-même et les siens la fatigue, la souffrance, le cœur, le sang. La Nouvelle-France, épuisée par toutes les privations, accablée sous le nombre de ses ennemis, et cependant toujours debout, toujours menaçante, semblait avoir attiré dans son sein la vie de tous ses enfants pour porter de plus grands coups ou tomber Tout d’une pièce ; et ses enfants n’attendaient pas qu’elle leur demandât leur vie, ils courraient lui en faire l’offrande ; des soldats de douze ans marchaient avec des octogénaires sous le même drapeau ; on ne laissait à la chaumière que les femmes avec les plus petits de la famille ; les prêtres, après avoir dirigé ces faibles ouvriers aux travaux de la moisson, allaient bénir ceux qui tombaient sur les champs de bataille : ils recueillaient le froment à la maison et les morts à la frontière !… Le