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Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/27

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souvenir d’un peuple dispersé

affirmer publiquement les droits de son gouvernement à la possession de ces terres, avant que la question des frontières fût discutée par la commission désignée pour cet objet. Les émigrés de Grand-Pré étaient arrivés dans ces environs quelques semaines seulement après lui ; et, en attendant la saison favorable pour se construire une demeure, ils avaient accepté l’hospitalité de leurs parents. Ceux-ci habitaient la côte opposée à celle où stationnaient les Français.

Le gouverneur Cornwallis ne fut pas longtemps à s’apercevoir que les intentions de LaCorne étaient de se fortifier dans les positions qu’il venait d’occuper ; il envoya donc, dès le printemps suivant, le major Lawrence à la tête d’un petit corps d’année pour le déloger.

Quelques détachements de ces troupes traversèrent la district des Mines, et l’on apprit bientôt chez les Landry quelle était leur destination ; et quoique l’on s’efforçât, autour de Marie, de lui cacher la tristesse que cet événement causait dans la famille, la jeune fille, avec cet instinct clairvoyant que possède tout cœur aimant, n’en fut pas moins saisie d’une pénible inquiétude. Et l’époque du retour de Jacques n’était pas encore passée, qu’elle sentait naître dans son cœur les plus sombres appréhensions. Le vague pressentiment qu’elle exprimait à son père au départ de la famille Hébert, renaissait dans son âme avec l’impression d’un malheur réellement accompli.

D’ailleurs, elle avait raison de tout craindre : l’irritation était grande chez les Anglais. Depuis l’arrivée du commandant français dans la Baie de Beau-Bassin, les populations acadiennes abandonnaient en plus grand nombre leurs foyers et elles se précipitaient vers le Canada et l’île St. Jean. Cette désertion générale faisait la rage de Cornwallis ; il désirait bien déjà se délivrer de ces sujets détestés, mais il n’aurait pas voulu les voir aller grossir les rangs de l’ennemi.

Tout le monde augurait donc de tristes choses de l’expédition de Lawrence, et l’on tint l’oreille ouverte à toutes les rumeurs qui vinrent de ce côté-là.

Le père Landry, tout en essayant de rassurer sa fille, ne s’abusait guère sur la situation de la famille de son vieil ami. Quoiqu’il le sût établi sur un territoire appartenant incontestablement aux Anglais, il était persuadé que l’autorité ne lui pardonnerait pas de s’être rapproché de la frontière, dans ces circonstances, et qu’on allait le traiter en vil transfuge malgré qu’on fût encore en pleine paix.