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souvenir d’un peuple dispersé

— Le capitaine Hébert ne connaissait rien encore du lieu que vous habitez lorsque je l’ai quitté, et il n’avait pu recueillir que des conjectures sur votre existence ; il se proposait, aussitôt qu’il serait libre, de visiter tous les lieux où vos compatriotes se sont réfugiés, mais je vous promets de lui éviter des démarches inutiles ; demain avant le soir, il saura où vous trouver.

— Merci, monsieur, dirent Marie et le père Hébert, c’est le ciel qui vous envoie vers nous.

— Il veut vous accorder quelque soulagement dans votre vieillesse, dit le Jésuite, et récompenser de suite votre bonne hospitalité.

— Maintenant, dit Marie avec une grâce suppliante, tenant toujours les mains de son hôte, racontez-nous ce qui est arrivé à notre Jacques depuis son départ de l’Acadie ; vous semblez si bien connaître sa vie !… Notre père sera si heureux de vous entendre, cela va le guérir, le rajeunir ; il est persuadé que son fils a dû faire toutes les grandes choses de l’armée, et moi je pense un peu comme lui : je vais vous écouter de toutes mes oreilles, pendant que je vous préparerai un bien mauvais repas, je vous assure ; que voulez-vous ? vous avez dévoré, au camp, tout ce que nous aurions eu à vous donner de bon ici. Si nous l’avions su, nous aurions au moins gardé une petite part pour ce pauvre Jacques, que vous auriez entamée avant son arrivée.

— Je suis persuadé, mademoiselle, que le capitaine Hébert se nourrira bien durant quelques jours du plaisir de revoir son père et une si bonne sœur !…

Jacques ne pouvait comprendre la prudence excessive du religieux, qui jugeait encore à propos de retarder le dénoûement d’une situation qui torturait son cœur ; cependant, il se soumit à sa volonté, trouvant sans doute quelque compensation à cette contrainte dans le tendre intérêt que Marie montrait pour tout ce qu’elle entendait dire de lui, et il entreprit volontiers un récit qui allait le faire apprécier beaucoup comme historien et encore plus comme héros.

Marie venait de s’éloigner, se dirigeant vers la cheminée ; Jacques, jugeant qu’elle allait attiser la flamme avec toute la ferveur du sentiment qui dominait son âme, et qu’il courait le danger d’être bientôt reconnu, se hâta d’entrer dans la chambre et d’occuper la place qu’elle venait de quitter. Après quoi, il commença l’histoire de tout ce qu’il avait fait depuis sa fuite de Grand-Pré, ayant soin de bien accentuer toutes ses paroles afin que sa fiancée ne perdit aucuns détails de son récit. Il aurait parlé moins haut qu’elle eut tout entendu. Une fille qui écoute parler de son amant