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jacques et marie

gars de douze à quatorze ans ; et, en faisant du bien à cette brave femme, elle associa à ses intérêts une aide dévouée.

Aussitôt que tout fut prêt pour l’exploitation régulière de la terre, Marie se mit à l’œuvre avec l’activité de son âge, de son caractère et de ses désirs de bien faire : elle demandait conseil à toutes les vieilles têtes et secours à tous les jeunes bras de la parenté. Tous se prêtaient à ses désirs. Il y avait quelque chose de si touchant dans le culte que la jeune fille donnait au souvenir de son fiancé et dans l’ardeur qu’elle mettait à lui préparer des joies, pour un retour qui n’aurait peut-être jamais lieu, que chacun s’empressait de contribuer à ses douces illusions, sans autre espoir que celui de voir Jacques cueillir un jour les peines de leur travail.

Tout allait à merveille, et pendant quelque temps, la pauvre enfant jouit pleinement du bonheur de penser que tous ses pas, toutes les ressources de sa main et de son esprit, toutes ses ingénieuses industries concouraient à l’édification de sa petite fortune, au charme de son futur intérieur ; elle allait pouvoir dire à l’arrivée du cher exilé : — Vois tout ce que j’ai fait en pensant à toi ! comme tu as occupé toutes les heures de mes journées ! comme ton souvenir a fécondé tous mes efforts !…


VII

Les mois passèrent rapidement au milieu de toutes ces occupations et de ces perplexités. Comme tout attachement vrai, celui de Marie ne faisait que grandir et se consolider avec l’âge et la séparation. Les dangers que courait son fiancé, les chagrins continus, les pleurs secrètes que lui causait son malheureux sort, faisaient rayonner constamment vers lui toutes les puissances de son cœur. Dieu a mis des trésors mystérieux dans l’amour de la femme, cette gracieuse providence de la famille : les douleurs, les inquiétudes, les larmes ont la vertu d’alimenter et de grandir son affection, et souvent l’être qui leur en a demandé davantage est encore celui qui est le plus aimé.

Marie, pour chasser les tristes images que lüi traçaient ses frayeurs, dans le présent et dans l’avenir, recherchait les lieux qui lui rappelaient les scènes de son enfance. Tous ses petits souvenirs étaient éparpillés comme une moisson de fleurs, autour du champ de son père ; elle pouvait facilement en faire la récolte ; cette