Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
jacques et marie

sous le regard souriant du curé ; la naissance était triste et la mort sans consolation ; l’autel était profané. On ne voyait plus, aux heures de l’instruction, les petits enfants, ces amis du Christ, se presser tout grouillants sur les degrés du perron, comme les hirondelles sous le clocher, pour prendre la curée frugale.

Souvent, la petite Landry dirigeait ses pas du côté de la Gaspereau : là, chaque buisson de noisetiers lui rappelait une fête ; c’est elle qui rapportait autrefois, dans les plis de son tablier, la récolte friande cueillie par ses frères aidés de l’ami Jacques.

En suivant toujours la côte, elle trouvait les anses qui servaient jadis de port aux petites barques des pêcheurs.

Durant la morte-saison, les jeunes gens avaient l’habitude de quitter le pays, pour aller faire la provision de poisson nécessaire pour les longs jours d’abstinence, qu’on observait si rigoureusement alors. Ils prenaient avec eux quelques produits de leurs fermes qu’ils échangeaient contre des objets de commerce, dans les comptoirs européens établis à l’entrée du golfe St. Laurent. Et comme la pêche était tellement abondante qu’ils pouvaient en quelques jours prendre et saler la quantité de morue et de hareng suffisante à la consommation de la famille, il leur était encore facile de vendre plusieurs cargaisons aux marchands étrangers.

Ces expéditions étaient donc toujours très-fructueuses ; la recette entière appartenait à la jeunesse. Le retour était une réjouissance publique. C’était le vent de la fortune, le souffle du bonheur qui gonflait toutes ces petites voiles : il y avait peu de ces garçons qui ne rapportaient pas quelques beaux présents pour leurs mères, leurs sœurs, ou pour les bonnes filles du village ; des présents venus de France ! En outre, la petite caisse d’économie renfermait amplement pour payer la noce de ceux qui devaient se marier, et même quelque chose de plus pour commencer le ménage. Bien des cœurs soupiraient après l’arrivée de la flotte fortunée. À peine la voyait-on poindre à l’entrée de la Baie de Fundy que tout le monde était au rivage. Pendant qu’on chantait en chœur sur les embarcations, les chapeaux et, les fichus s’agitaient aux ports, et bien des heureuses, de l’âge de Marie, se pressaient vivement du coude et se montraient en rougissant des heureux qui les regardaient aussi !

Tout cela était encore disparu… Il avait été strictement défendu aux Acadiens de posséder la moindre embarcation et d’exporter leurs produits. Les bords de la mer étaient devenus silencieux.

En errant ainsi, la fiancée de Jacques arrivait toujours à l’endroit où s’était embarquée la famille Hébert ; et c’était peut-être la