Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/4

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Prologue[1]


On dit que les Troyens exilés donnaient des noms aimés aux lieux inconnus où ils étaient venus chercher une nouvelle patrie.

Au temps de la conquête, on vit arriver quelques familles démembrées, ralliées par le même malheur, chassées de leurs foyers comme les enfants d’Ilion. Ces infortunés s’arrêtèrent sur les bords de la Petite Rivière de Montréal, à cet endroit où elle semble prendre plaisir à revenir sur son cours, comme pour mieux arroser les plaines fertiles qu’elle sillonne et rafraîchir ses ondes sous les ombrages des ormes géants qui les abritent. Après avoir entamé la forêt et asséché le sol par des travaux herculéens, ils y fixèrent leurs demeures.

Pour eux, la terre qui allait boire leurs sueurs et leurs larmes, recueillir leurs dernières espérances, donner des fleurs à leur vieillesse et garder leurs cendres bénies, ne pouvait pas s’appeler autrement que celle où ils avaient appris à connaître tout ce que la vie donne de délices dans les joies pures du foyer, durant ces beaux jours d’illusions et de mystères qui charment toute jeunesse ici-bas : ils firent comme ces autres pèlerins de l’Ausonie, ils nommèrent le coin de terre qu’ils venaient d’adopter la Petite-Cadie, du nom de la patrie perdue.

Tous les proscrits sont frères, qu’ils soient victimes des Grecs ou des Anglais, et le génie de l’infortune a partout la même poésie de langage.

Ces familles étaient venues là, les unes après les autres, comme viennent les débris d’un naufrage sur la même falaise, quand, après bien des vents contraires, une brise continue se met à souffler vers la terre. Des pères qui avaient eu des familles nombreuses arrivèrent avec quelques-uns de leurs enfants, ou avec ceux de leurs

  1. Fait pour la Revue canadienne.