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Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/49

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souvenir d’un peuple dispersé

maison, assez confus lui-même, sonna la retraite et se hâta de rentrer au presbytère.


XI

Arrivé dans sa chambre, il ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil sur les trois clous qui restaient là, solitaires comme lui, depuis plus de six mois. Il lui sembla qu’ils avaient poussé, tant leur nudité lui paraissait de jour en jour plus triste, plus désespérante ; et il ne put retenir un soupir, qu’il dirigea vers Clara, faute d’une Dulcinée plus fraîche et plus nouvelle.

— Quelle singulière population ! se dit-il ; les beaux chevaux, les petits présents n’y peuvent rien ; je m’expose à la haine des miens ; je cours même le risque d’être assassiné par ces brigands que je vais faire fustiger pour cette petite villageoise ; je comptais qu’elle allait au moins tomber à mes genoux — ce que je me proposais bien d’empêcher, — et voilà qu’elle oublie tout, au premier mot galant, qu’elle m’arrête au premier point d’admiration ! Bouche charmante !… il n’y avait pourtant rien là que de très-innocent.

Véritablement, je suis à bout de ressources, et je ne sais pas comment je m’y prendrai demain pour ne pas m’ennuyer, après que j’aurai fait fouetter ces quatre vauriens… Je regrette de leur avoir retranché les quatre cents coups, cela aurait duré toute l’avant-midi… Je crois bien que je me tuerais, après le dîner.

Et George alla se coucher, ce soir-là, sans adresser de souhaits à ses images favorites. Il était d’humeur maussade. Il eut bien volontiers repris son marteau pour enfoncer jusqu’à la tête les trois clous qui semblaient insulter à sa mauvaise fortune, et faire sentir en même temps, par ce tapage, à son désagréable voisin, un peu de son supplice ; mais celui-ci était absent depuis quelques jours ; il attendit son retour.

Cette absence explique pourquoi le lieutenant se permettait d’exercer une si sévère justice dans la garnison.


XII

La nuit porte conseil : un beau soleil levant, une brillante matinée d’automne, le sourire universel de la nature, le chant matinal des oiseaux, font retrouver l’existence attrayante, après un jour orageux. Le lendemain, le jeune officier revit la sienne tout en