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jacques et marie

officier fut saisi à ce témoignage de mépris. — Au revoir, M. George, dit Marie, d’une voix ferme, mais sans aigreur. Je vous dois une réponse, je vous prie de venir la recevoir, après demain… Pardonnez-moi ce retard : mais il me semble que dans des moments aussi difficiles, on ne peut songer à fixer sa vie… Elle appuya sur ces derniers mots.

— Je croyais, mademoiselle, reprit le lieutenant, que votre chanson de ce soir et cette manière inusitée de me congédier… étaient votre réponse, et je n’en attendais plus d’autre… Dieu veuille que celle que vous me promettez ne vienne pas trop tard !… Je vous pardonne ce nouveau délai ; je vous pardonne aussi le sentiment qui vous a inspiré le choix de votre complainte et le traitement que vous m’infligez maintenant : vous croyez avoir des raisons légitimes pour me faire subir cette double humiliation, je ne vous les conteste pas ; peut-être apprendrez-vous un jour combien je viens de souffrir ! Quoiqu’il en soit, vous trouverez toujours en moi le protecteur le plus dévoué, le plus respectueux, le plus constant. — Il salua.

Sa voix tremblante et brisée révélait assez tout ce qu’il éprouvait. Marie se sentit touchée ; elle lui tendit la main, mais il était déjà disparu dans les ténèbres.

En regagnant leurs demeures, les conviés à la fête rencontrèrent des petites patrouilles qui parurent les épier. George trouva tout le monde debout au corps de garde ; le conseil siégeait au coin du feu, sans lumière. Il entra droit chez lui, et se jeta, tout botté, sur son lit ; il était fiévreux et harassé, et il avait ordre d’être debout, avant l’aube. — Quelle terrible jour que ce demain ! dit-il, en tombant sur le grabat comme un fardeau trop lourd. Pauvres gens !… j’ai peu d’espoir… Quand elle aura connu les terribles enchaînements de ma situation, quand elle aura compris toute la sincérité de mon cœur et de mon dévouement, elle me rendra son estime, au moins… peut-être davantage… Les événements feront le reste…


XXI

Le lendemain, vers midi, près de deux mille personnes étaient réunies dans le bourg de Grand-Pré. Beaucoup étaient venus d’une assez grande distance, avec toute leur famille. Tous étaient groupés le long de la rue principale, devant les maisons, autour de l’église ; la plupart s’occupaient à expédier un léger repas qu’ils