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Page:Bourassa - Jacques et Marie, souvenir d'un peuple dispersé, 1866.djvu/85

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souvenir d’un peuple dispersé

Je me suis confié à la générosité d’une nation, j’ai cru à la parole d’un roi… si c’est un crime, il m’a perdu, et j’en suis suffisamment puni. Maintenant, je baise l’autel de mon Dieu, j’appuie dessus ces deux mains épuisées ; si j’ai voulu vous tromper, vous vendre, que le ciel confonde mon imposture ; qu’il dise si je suis un lâche ou un renégat !…

— Non, non, crièrent quelques voix : pardonnez-nous ! priez pour nous ! priez avec nous !…

Ces voix dominèrent et entraînèrent toutes les autres.

Le notaire était resté prosterné devant le tabernacle ; le mouvement saccadé de ses épaules laissait voir que ses larmes l’étouffaient. Il y a quelque chose de tout puissant dans les pleurs d’un vieillard, quelque chose de saint qui dompte les hommes et qui touche le ciel. Celles du père Leblanc produisirent une réaction subite dans toutes ces âmes bouleversées : le sentiment du malheur commun, de la douleur partagée, rétablit chez tous celui de la justice. On ne songea plus à s’accuser outre frères, entre victimes ; l’injustice qui pesait sur tous était à elle seule assez lourde à porter, on avait trop besoin de miséricorde et de consolation. Peu à peu, un calme contenu s’établit au milieu de tout ce monde ; le silence religieux de la résignation envahit cette enceinte ; on n’entendit plus que les sanglots des enfants pressés dans les bras de leurs pères, et ce balbutiement uniforme d’une foule en prières. La vieille église semblait avoir repris son caractère pieux d’autrefois pour faire descendre sur ses enfants les consolations célestes, un peu des béatitudes du Dieu des infortunés.


XXII

À l’extérieur, quand les femmes entendirent l’exclamation terrible de leurs parents, elles sentirent leurs entrailles tressaillir, comme à l’appel suprême d’un père ou d’un frère blessé à mort ; leurs tendres instincts les poussèrent toutes ensemble vers l’entrée de l’église et elles attendirent dans une anxiété indicible le moment où la porte s’ouvrirait. Lorsqu’elles la virent s’entrebâiller elles s’y précipitèrent ; mais c’étaient Murray, Butler et Winslow qui sortaient avec leurs sbires, ils leur signifièrent de se retirer, elles n’en firent rien ; ils les repoussèrent de la main, de leurs épées, mais elles offraient leur sein au fer, leurs têtes aux coups, pour