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Page:Bourdon - En écoutant Tolstoï.djvu/209

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petite chose étroite et rabougrie, où le traîneau s’enfonce doucement, comme dans de la matière élastique, et qui semble impénétrable, mais qui se renouvelle sans cesse et sans cesse est pareille.

La neige dans la nuit a recouvert nos traces d’hier. Le suaire blanc s’étend sans pli et sans déchirure. La campagne est un tombeau sans fin, que gardent, veilleurs affligés, les spectres graves des arbres.

De toute la forêt, de l’immensité vierge de la plaine, s’exhale une lourde mélancolie. Les choses ont leur âme et leur parfum. Celui qu’on respire ici est le parfum glacé des fleurs de mort dont parle Lucrèce, et l’âme errante des mondes détruits habite ces lieux.

Je sens tomber sur mon front des brumes pesantes. Une poussière de neige, que le vent soulève, nous enveloppe de son tourbillon cinglant, et le lent traîneau, incertain du chemin que nul indice ne décèle, glisse avec prudence, à travers cette désolation, vers la petite gare puante de Zasseika — fantôme noir portant des fantômes parmi les champs blancs de la mort…