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le mystérieux monsieur de l’aigle

sueur froide lui couvrait le visage et les mains. Allait-il s’évanouir ? Et pourquoi ?… Il n’eut pu vraiment expliquer l’espèce de panique dont il venait d’être saisi… Était-ce un pressentiment ?…

Cette somme de trois mille dollars, qui avait été volée à Baptiste Dubien… Trois mille dollars en billets de banque américains… N’était-ce pas une étrange coïncidence ?… Chez lui, Arcade avait, lui aussi, caché dans une petite cassette, trois mille dollars, en billets de banque américains… Heureusement qu’il y avait la lettre de Mme Richepin, expliquant la provenance de tout cet argent… La lettre de Mme Richepin ?… Où était-elle ?… Hier soir il avait voulu la relire, mais il ne l’avait pas trouvé… Ah ! S’il pouvait donc retourner chez lui, chercher la lettre de sa marraine, et la déposer, ainsi que les trois mille dollars, dans le coffre-fort de Jacques Lemil !…

Trois mille dollars avaient été volés à Baptiste Dubien, trois mille dollars !… La somme exacte qu’il avait reçue, lui, Arcade, de la Nouvelle Orléans… Oui, c’était une étrange coïncidence !… Ô ciel ! Si on allait le soupçonner ?… Impossible ! Voleur ! Assassin ! Lui, Arcade Carlin !… Pourquoi cette pensée lui était-elle venue seulement ?…

Mais, comme il se sentait effrayé, tout à coup ! Et pourquoi tout était-il devenu si noir, dans le magasin ? On se serait cru du milieu de la nuit…

Arcade frotta ses yeux du revers de ses mains… mais l’obscurité persistait ; que dis-je ? elle devenait à chaque instant plus grande, semblait-il…

Soudain, ses doigts, qu’il avait, instinctivement, cramponné au comptoir, s’ouvrirent et il sentit qu’il tombait…

— Trois mille dollars ! s’exclama-t-il, en tombant. Ils sont à moi !… À moi… et à Magdalena !

Ces paroles furent les dernières que prononça Arcade, avant de perdre connaissance tout à fait.

VIII

« AU NOM DE LA LOI… »

Lorsqu’Arcade Carlin revint de son évanouissement, il ne comprit pas, tout d’abord, ce qui lui était arrivé. Il se vit, couché sur le plancher, entre un comptoir et le mur ; voilà tout. Cependant, il revint, presqu’aussitôt, à la connaissance des choses qui l’entourait, et vite il se leva.

— Ah ! Je me souviens maintenant ! se dit-il. J’ai, stupidement, perdu connaissance… Mais, à propos de quoi ?… Oui ! Oui ! Nous parlions du meurtre de Baptiste Dubien et du vol des trois mille dollars… J’ai été comme saisi de panique, à l’énonciation de cette somme d’argent ; tout est devenu noir et j’ai cru que j’allais mourir… puis… je ne me souviens plus de rien après cela…

Il passa rapidement et à plusieurs reprises, sa main sur son front, où perlait encore une transpiration froide comme de la glace. Il regarda autour de lui et constata une chose qui l’étonna beaucoup ; il était seul, dans le magasin… Avait-il été longtemps évanoui ?… Jetant les yeux sur l’horloge, il vit qu’il passait à peine neuf heures.

Mais, où était les trois hommes avec qui il venait de causer ?… Ils l’avaient donc abandonné, alors qu’il était sans connaissance ?… Était-ce croyable ?… Laisser seul, quelqu’un qui s’est évanoui ?… Ne pas lui prodiguer des soins ?… Le laisser revenir comme il le pourrait de son évanouissement, ou n’en pas revenir du tout ?… Ce n’était pas humain cela ! Pourtant, ces hommes qu’il y avait, au magasin, tout à l’heure, Arcade les connaissait, tous trois ; ils avaient la réputation d’être de braves et honnêtes gens… Pourquoi l’avaient-ils abandonné ?… Il ne comprenait pas, et vraiment, il ne se sentait pas la force d’essayer à déchiffrer des énigmes, pour le moment. Sa faiblesse était si grande que ses jambes ployaient sous lui, et ses mains étaient agitées d’un tremblement qu’aucun effort de sa volonté n’eut pu arrêter.

Le souvenir de ce qui avait été cause de son évanouissement lui revint ; en même temps, lui revint la résolution de se rendre chez lui, sans retard, y chercher la lettre de Mme Richepin, ainsi que les trois mille dollars qu’elle lui avait envoyés, et de déposer le tout dans le coffre-fort du magasin.

Arcade se préparait donc à partir, lorsqu’entrèrent plusieurs pratiques, hommes et femmes. Et ce ne fut que le commencement ; tout l’avant-midi, presque tout le village défila dans le magasin, et ce qu’il y avait de plus fâchant, c’était que ces gens n’achetaient rien, ou presque rien. Ils semblaient n’être venus là que par simple curiosité ou passe-temps, et Arcade se demanda, plus d’une fois, ce qui pouvait attirer. Ils ne faisaient que chuchotter entr’eux ; mais, comme pour se donner une contenance, les hommes se faisaient montrer des cols, des mouchoirs ; les femmes, du fil, des aiguilles, du ruban ou de la dentelle… qu’elles se gardaient bien d’acheter par exemple. Et toujours ce chuchottement, qui finit par énerver Arcade, à un tel point, qu’il se surprit à répondre fort sèchement à ceux qui lui adressaient la parole.

Désapointé de ne pouvoir quitter le magasin, quand c’était si important pour lui de se rendre chez lui immédiatement, Arcade sentait devenir plus incontrôlable, à chaque instant, ce tremblement de mains, qui paraissait lui être resté, depuis son évanouissement. Il laissa choir sur le comptoir, ou sur le plancher, plusieurs pièces de marchandises, et le bruit que produisaient ces pièces, en tombant, lui faisait faire des sauts vraiment ridicules, tant son énervement était grand. Cet énervement, ce tremblement de ses mains, ses maladresses, suscitaient les commentaires des pratiques, c’était évident. Quand donc ce flot humain cesserait-il d’envahir le magasin ?… Quand donc serait-il libre de s’en aller chez lui ?…

Enfin, vers les onze heures et demie, le magasin se vida, et Arcade eut un soupir de soulagement. S’adressant alors au garçon qui li-