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le mystérieux monsieur de l’aigle

soulèverait une de ces pierres, au moyen d’un levier, puis il creuserait un trou de quatre ou cinq pieds dans la terre. Dans ce trou, il déposerait la cassette, qu’il recouvrirait de terre et sur laquelle il remettrait la pierre.

Courant dans sa chambre à coucher, Arcade se saisit de la cassette. Revenant dans la cuisine ensuite, il souleva une trappe, découvrant ainsi un escalier étroit et obscur.

À ce moment, il crut entendre un léger bruit dans la salle d’entrée, et soudain, il se rappela n’avoir pas fermé la porte à clef, en entrant dans sa maison, tout à l’heure.

Arcade s’avança, sur la pointe des pieds, et jeta un regard dans la salle, mais il ne vit rien. Hâtivement, alors, il ferma à clef la porte d’entrée et retourna à la cuisine.

Dans la cave, il trouverait, il le savait, une pelle, une pioche et un levier. Il descendit donc l’escalier étroit et obscur, et, comme il venait de se convaincre qu’il était bien seul dans sa maison, il ne prit pas la peine de fermer la trappe derrière lui.

Arcade se mit à l’œuvre, et bientôt, un trou de cinq pieds de profondeur était creusé. S’emparant ensuite de la cassette, il se disposait à la déposer dans le trou qu’il venait de creuser, lorsqu’il eut l’idée de s’assurer si elle contenait vraiment les trois mille dollars. Ce serait si bête d’enterrer la cassette, sans être absolument certain qu’elle contenait les trois billets de banque, de mille dollars chacun !

Oui, tout l’argent y était ! Arcade compta, deux fois de suite, les billets de banque, et il allait les remettre dans la cassette, quand ils lui furent arrachés des doigts…

Une main se posa, en même temps, sur son épaule… puis, une voix qui, aux oreilles d’Arcade Carlin, semblaient passer par mille trompettes, dit :

— Arcade Carlin, au nom de la loi, je vous arrête !

IX

TROUVÉ COUPABLE

Nous n’avons pas l’intention d’insister sur le procès d’Arcade Carlin. D’ailleurs, nous savons d’avance qu’il ne parvint pas à prouver son innocence.

Tout d’abord, on refusa de le croire, lorsqu’il affirma que les $3000.00 lui avait été envoyées de la Nouvelle-Orléans, dans une lettre non enrégistrée. Alors, Arcade raconta la conversation qu’il avait eue avec Martin Corbot, au bureau de poste, le jour où la lettre de Mme Richepin lui était arrivée.

On se souvient de cette conversation ?… Le bossu (qui, probablement, ne s’était guère gêné pour prendre connaissance de la lettre de Mme Richepin) avait félicité Arcade de sa chance.

Mais l’boscot, questionné et transquestionné à ce sujet, devint parjure ; il nia tout. Or, sur la déposition de Martin Corbot, l’avocat d’Arcade avait fondé de grandes espérances, et voilà que tout croulait, comme un château de cartes, à cause de l’horrible mensonge du bossu !

Hector Servant, tel était le nom de l’avocat qui avait entrepris la tâche de défendre l’accusé, avait été retenu, et il serait payé par le « père Zenon ».

Hector Servant fit des démarches auprès de la Compagnie américaine qui avait fait des transactions avec Baptiste Dubien. Cette Compagnie avait-elle gardé une liste des numéros des billets de banque remis à Dubien ? Non, hélas ! On n’avait pas pris cette précaution…

Et puis, Arcade n’avait pas d’alibi ; il avait passé la soirée et la nuit du meurtre chez lui, seul avec sa petite. Magdalena s’était couchée vers les huit heures et demie, ce soir-là, et lui, Arcade, s’était mis au lit vers les dix heures. Non, personne n’était venu passer la veillée avec lui, personne ! Zenon Lassève, qui veillait chez les Carlin tous les soirs, lorsqu’il était au village, avait été absent et n’était revenu à G… que le lendemain soir.

Certains propos tenus par Magdalena avaient été répétés, de bouche en bouche. Le lendemain du meurtre de Baptiste Dubien, la petite ayant été injuriée par une de ses compagnes de classe, à cause de ses presque haillons, avait répondu :

— Laisse faire ! Bientôt, je serai la mieux mise des enfants du village, papa l’a dit ! Papa va m’acheter un beau manteau garni de fourrures, des belles robes, de belles chaussures et un beau chapeau… aussi un manchon en lapin blanc, doublé en soie rose pâle.

— Ce n’est pas vrai ! s’était écriée la compagne de Magdalena. Vous êtes trop pauvres pour acheter de ces choses !

— Papa l’a dit ! répéta Magdalena. Il dit aussi que l’argent ne manquerait pas, à partir d’aujourd’hui.

Thomas Vaillant, l’épicier, avait répété ce que Magdalena avait dit, le soir où elle était allée acheter des confitures, chez lui : Arcade Carlin se proposait de payer, dans quelques jours, la somme de soixante dollars qu’il devait à l’épicier depuis longtemps. L’achat des confitures et cette promesse de payer un compte dont il avait désespéré, avaient grandement surpris Thomas Vaillant, entendu qu’il savait que le salaire d’Arcade suffisait à peine à les faire vivre, lui et sa petite.

Enfin, les trois hommes qui étaient entrés dans le magasin de Jacques Lemil, le lendemain du meurtre de Baptiste Dubien, répétèrent les paroles qu’Arcade avait prononcées, au moment de s’évanouir : « Trois mille dollars !… avait-il dit. Ils sont à moi !… À moi… et à Magdalena » !

Oui, tout condamnait Arcade Carlin ! Son irréprochable conduite, durant tant d’années, son indéniable honnêteté, s’effaçaient devant le crime horrible dont on le soupçonnait.

Inutile de le dire, Hector Servant avait télégraphié à Mme Richepin, demandant à cette dame si elle avait envoyé, tout dernièrement, dans une lettre non-enrégistrée, à son filleul, Arcade Carlin, la somme de $3000.00, en billets de banque américains, de mille dollars chacun. Ce télégramme était resté sans réponse, ce qui était quelque peu décourageant pour l’avocat, pour son client surtout.