Page:Bourgeois - Le mystérieux Monsieur de l'Aigle, 1928.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
le mystérieux monsieur de l’aigle

Elle passa ses deux mains en arrière de sa tête et aussitôt, elle eut une exclamation douloureuse : sa chevelure avait été coupée !…

Elle avait été fière, à bon droit, de ses cheveux ; longs, abondants, fins comme de la soie en écheveaux, noirs comme l’aile du corbeau et ondulant légèrement… Des larmes perlèrent à ses longs cils, puis, des frissons la secouèrent ; elle venait de comprendre ! Le « père Zenon » avait dû lui-même couper les cheveux de sa fille adoptive, au moment où on allait la déposer dans son cercueil ; ces cheveux il avait voulu les garder en souvenir d’elle…

Magdalena se détourna ; elle ne voulait plus regarder dans le miroir puisque cela lui causait de si pénibles impressions. Mais, tout à coup, ses yeux tombèrent sur la robe dont elle était habillée. C’était une de ces robes en grosse mousseline blanche, aux garnitures découpées au fer… Un suaire ! Ô ciel !

Fébrilement, elle se dévêtit, déchirant, plus d’une fois, la robe, dans sa hâte de s’en débarasser, après quoi elle courut à une grande garde-robe qu’il y avait à l’une des extrémités de la salle près de la porte d’entrée, et saisissant un long manteau bleu marin qui y était accroché, elle s’en recouvrit.

Retournant se placer devant le miroir, elle eut la satisfaction de voir qu’un changement s’était opéré dans son apparence. Sans doute, ses joues étaient encore creuses et pâles ; ses yeux étaient encore ridiculement grands, et cernés de bistre ; mais un peu de rose lui était venu aux lèvres, et son regard était moins terne.

Quel bonheur que celui de vivre ; de sentir ses forces lui revenir et de savoir que son sang coulait, plus chaud, dans ses veines !

Soudain, Magdalena sourit. Quelle sensation dans le village, lorsqu’on apprendrait la… résurrection de Magdalena Carlin ! Elle deviendrait un objet de curiosité… Chacun voudrait connaître les impressions qu’elle avait ressenties, lorsqu’elle s’était vue couchée dans un cercueil… Et le « père Zenon » ? il serait fou de joie de retrouver vivante, sa fille adoptive. Et elle, Magdalena…

Mais, à quoi songeait-elle ? Allait-elle reprendre la routine ordinaire ? Redevenir la « fille du pendu », avec qui nul n’osait s’associer ?… Ce serait folie, quand elle pouvait si facilement disparaître… Magdalena Carlin serait morte pour tous… Dans quelques heures, si elle réussissait dans le projet qui venait de germer dans son esprit, on enterrerait un cercueil… vide, et celle qu’il était supposé contenir serait loin, tandis qu’on chanterait son libera

Se dirigeant vers une chambre à coucher voisine de la salle, et essayant de ne pas voir le cercueil, en passant, Magdalena alla directement vers le lit et en enleva le traversin.

Retournant dans la salle ensuite, elle s’approcha, en tremblant, du cercueil, dans lequel elle plaça le traversin, qu’elle recouvrit du linceul dont on l’avait enveloppée, puis, malgré qu’elle frissonnât d’horreur, elle souleva un bout du cercueil afin d’en constater le poids… Mais, non ; ça ne ferait pas… il ne pesait pas assez.

Deux morceaux de bois, enveloppés dans le traversin, donnèrent plus de pesanteur au cercueil… Oui, c’était à peu près le poids que pesait Magdalena ; c’était très bien ainsi !

Bientôt, le couvercle du cercueil avait été vissé en place. Il ne restait plus à Magdalena qu’à partir. Personne ne songerait à dévisser le couvercle, car, qui, à part du « père Zenon » tiendrait à la revoir ? Elle ne courait donc pas grand risque.

Mais, le « père Zenon » où était-il ?… N’était-ce pas étrange qu’il fut absent ?… Il reviendrait sous peu, sans doute, car ça ne pouvait être que lui qui avait allumé les cierges qui achevaient de se consumer, de chaque côté du crucifix. Il serait inquiet, à cause de ces cierges et il reviendrait bientôt… Et, quand il reviendrait, essayerait-il de dévisser le couvercle du cercueil, pour revoir, une dernière fois, sa fille adoptive qu’il avait tant aimée ?

Comme pour répondre aux questions qu’elle venait de se poser, des pas retentirent au dehors… Ces pas s’approchaient de la maison… Une clef fut insérée dans la porte, et Magdalena n’eut que juste le temps de courir se cacher dans la garde-robe, quand le « père Zenon » pénétra dans la salle.

II

LE COMPLICE

En pénétrant dans la maison, le « père Zenon » jeta immédiatement les yeux sur le cercueil, et aussitôt, il enleva son chapeau, puis, s’étant agenouillé, il fit le signe de la croix et ses lèvres murmurèrent une prière.

Magdalena, de la garde-robe où elle s’était réfugiée et dont elle avait laissé la porte entr’ouverte d’un pouce ou deux, pouvait suivre tous les mouvements de son père adoptif.

Après avoir prié quelques instants, le « père Zenon » s’approcha de la table sur laquelle était le crucifix. Les cierges achevaient de se consumer ; il les remplaça donc par d’autres.

S’avançant ensuite auprès du cercueil, il croisa ses bras sur sa poitrine et sembla se livrer à de tristes et sombres pensées, car des larmes coulaient lentement sur ses joues. Il se demandait ce que serait sa vie, maintenant que Magdalena était morte… Chose certaine, c’est qu’il s’en irait de G…,… D’ailleurs, la chose avait été décidée entre lui et Magdalena, avant qu’elle tombât malade… Sa maison, au « père Zenon » était vendue à Jacques Lemil. Le marchand l’avait achetée pour son fils Pierre, qui venait de se marier avec Sylvie Dubien. La maison avait été vendue toute meublée et l’acquéreur en avait payé d’avance la moitié de la somme convenue entre eux : c’est-à-dire $500.00 ; la balance serait payée en dedans d’un an.

Tous, dans le village, savaient que le « père Zenon » devait partir, et maintenant que Magdalena n’était plus, on s’attendait à ce qu’il partît bientôt ; dans trois ou quatre jours, probablement. Il ne s’en était pas caché ; il s’en irait bien loin ; dans la province d’Ontario, chez son frère, qui demeurait près de la ville de Toronto…