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le mystérieux monsieur de l’aigle
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dû endurer son père adoptif ; de quelle frayeur il avait dû être envahi !

— Tu as l’air épuisé, Lassève, totalement épuisé ! fit la voix de Jacques Lemil.

— Je n’ai pas dormi, depuis plusieurs nuits, vois-tu, répondit l’interpellé.

— Alors, tu ferais bien de déjeuner d’abord, puis de te mettre au lit et essayer de dormir. Tu finirais par tomber malade ; il n’est rien de pire que le manque de sommeil.

— Je suivrai probablement ton conseil, Lemil…

— Si j’étais toi, continua le marchand, je fermerais à clef les portes de la maison, afin de n’être dérangé par personne et je me coucherais le plus tôt possible.

— Merci, répondit le « père Zenon ». Ton conseil est sage, mon ami, et je vais le suivre.

— Au revoir, donc, Lassève !

— Au revoir, Lemil ! Merci de tes sympathies ! Au revoir, Pierre, mon garçon !

Enfin ! Enfin ! Ils étaient partis ! La porte de la maison venait d’être fermée… à clef ; de cela, Magdalena était bien sûre. Tout de même, elle ne bougea pas ; elle attendrait que son père adoptif montât la trouver.

Cela ne tarda guère. Elle l’entendit monter l’escalier, puis se diriger vers sa chambre.

— Magdalena ! fit-il, après avoir frappé à la porte.

— Oui, « père Zenon », répondit-elle, courant ouvrir.

— Il entra en chancelant. Son visage était blanc comme la mort.

— Ô mon Dieu, que ça été épouvantable ! s’écria-t-il, en se laissant tomber sur un siège et s’épongeant le front de son mouchoir.

— Pauvre petit père ! Pauvre, pauvre petit père fit Magdalena, entourant de ses bras le cou de son père adoptif et lui donnant un baiser.

— J’ai… J’ai failli trahir notre secret… je ne sais combien de fois, Magdalena, reprit-il. Il me semblait qu’on me soupçonnait… que sais-je ?… Je le répète, ma fille, ça été épouvantable !

— Mais tout s’est bien passé, n’est-ce pas ?

— Oui, tout s’est bien passé… et pour cela, que Dieu soit béni !… Mais, ma fille, aussitôt que faire se pourra, nous quitterons G….

— Je ne demande qu’à partir alors ? Ce soir ?

— Demain soir… Attendons à demain soir, voulez-vous ? J’ai quelques préparatifs à faire… vous aussi, petit père… Oui, nous partirons demain soir, aussitôt que tombera l’obscurité.

— Demain soir ; c’est entendu ! Vers les onze heures, nous partirons. À cette heure-là, le village est endormi depuis longtemps… En attendant, Magdalena, tu devras rester dans ta chambre à coucher… Je monterai tes repas ici… Ça ne sera pas gai pour toi ; mais, que veux-tu ?

— Ne craignez rien, je ne commettrai aucune imprudence. Et, quant à trouver le temps long, j’en doute, car je vais être fort occupée.

— Je descends préparer le déjeuner, dit le « père Zenon » en se levant. Au revoir, Magdalena. J’entends Froufrou qui demande qu’on lui ouvre la porte ; vais-je le laisser monter ici ?

— Oui ! Oui ! répondit, en souriant, la jeune fille. Froufrou me tiendra compagnie.

Le « père Zenon » descendit dans la salle, puis s’étant dirigé vers la cuisine, il ouvrit la porte à un petit chien épagneul, tout noir, tout frisé ; c’est Froufrou. En quelques bonds, il monta l’escalier et vint demander admission dans la chambre de Magdalena.

— Froufrou ! Cher beau Froufrou ! s’écria-t-elle. Viens me tenir compagnie… Mais, qu’allons nous faire de toi ?… Nous ne pouvons t’emmener avec nous… et nous partons demain… Demain… reprit-elle. Demain, nous quitterons pour toujours ce village !… Oh ! combien il me tarde de partir… de m’en aller loin, bien loin d’ici… à la grâce de Dieu !

IV

À LA GRÂCE DE DIEU

On était au lendemain des funérailles. Il était six heures du soir.

Dans sa cuisine, le « père Zenon » était occupé à préparer le souper. Sur une table, près du poêle, était un plateau, contenant une assiette, une tasse, une soucoupe et un petit service à thé ; ce plateau, on l’a deviné, était destiné à Magdalena qui, ainsi qu’il avait été convenu entre elle et son père adoptif, ne quittait pas, même un instant, sa chambre à coucher.

Malgré qu’elle fut, en quelque sorte, prisonnière dans sa chambre, ces deux jours n’avaient pas paru trop longs à la jeune fille, car elle avait été très occupée à tailler, faufiler, coudre, ajuster ; bref, à faire ses derniers préparatifs de voyage.

Cette nuit-là, on devait partir. Ce serait une nuit sans lune ; de fait, le temps était à la pluie ; même, il était tombé de petites ondées, depuis midi. Certes, ce n’était pas un temps idéal, pour eux qui allaient parcourir, à pied, une longue distance, avant de se risquer de prendre un train. Ils iraient… ils ne savaient trop où encore… là où les conduiraient le destin… Comme l’avait dit Magdalena, la veille ; ils iraient… à la grâce de Dieu…

Pendant que sa fille adoptive était occupée dans sa chambre à coucher, dont elle tenait continuellement la porte fermée à clef, le « père Zenon » trouvait quelques raisons pour s’occuper autour de la maison, afin de donner le change à qui prendrait la peine de l’observer. Car, il vit bien qu’on l’observait. Non pas qu’on eut aucun soupçon à son égard, bien sûr ; mais par simple curiosité. Oui, le « père Zenon » savait que les villageois étaient curieux, et qu’ils devaient se demander souvent « comment le vieux s’arrangeait, tout seul, dans sa maison maintenant ». Ne pouvant voir ce qui se passait, par les châssis de la salle, dont les stores étaient baissées, en signe de deuil, on inventait mille prétextes pour venir frapper à la porte de la cuisine.

Durant la veillée, le soir des funérailles, la salle avait été éclairée, et elle le serait encore ce soir. Le « père Zenon », la veille, s’y était installé, pour y lire son journal, bien en vue de