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le mystérieux monsieur de l’aigle

se voyait dans le village ; tous étaient couchés dormaient, depuis longtemps, sur leurs deux oreilles.

— Descendons ! fit-elle. Il doit être tard ; ce sera bientôt l’heure de partir, je crois.

Ils descendirent dans la salle. Froufrou, comme s’il eut compris qu’on allait l’abandonner, se jetait littéralement dans le chemin de Magdalena et il haletait, comme s’il venait de faire une longue course.

— Pauvre Froufrou ! Pauvre petite bête ! dit Magdalena, en caressant le chien. Tu vas beaucoup t’ennuyer de nous, je sais !… Ne pourrions-nous pas l’emmener avec nous, mon oncle ? demanda-t-elle.

— Impossible… Théo, impossible ! Froufrou ne serait qu’un embarras, tu le penses bien.

— Que va-t-il devenir ?

— Ne sois pas inquiète à son sujet. Demain matin, par le premier courrier, Jacques Lemil recevra, en même temps que la clef de la maison, une lettre de moi, lui disant que nous lui avons laissé le chien en soin.

— Tout de même, fit Magdalena, avec un serrement de cœur, ça semble triste, presqu’inhumain d’abandonner Froufrou ainsi. Voilà deux ans que nous l’avons, et il nous aime tant ! ajouta-t-elle d’une voix remplie de larmes.

— Allons ! Allons ! Sois raisonnable, je te prie ! répondit Zenon. Et vois, il est onze heures moins le quart ; c’est le temps de partir !

Ils avaient résolu de quitter la maison par la porte de la cuisine, entendu que, en arrière de leur demeure, à quelques pas seulement, était un petit bois, dans lequel ils pourraient cheminer jusqu’au prochain village.

Froufrou, voyant ses maîtres en frais de l’abandonner, se mit à se plaindre, puis il s’approcha de Magdalena, et lui lécha le visage et les mains, essayant, par tous les moyens possibles, de se faire emmener. Sa jeune maîtresse pleurait franchement ; ça lui semblait vraiment inhumain d’abandonner la pauvre petite bête. Cependant, elle n’osait rien dire, afin de ne pas mécontenter son père adoptif.

On partit. Quelques pas seulement à faire et on atteignit le petit bois. Mais soudain, Magdalena s’arrêta.

— Qui a-t-il ? demanda Zenon Lassève, en s’adressant à la jeune fille.

— Froufrou… balbutia-t-elle. Écoutez-le donc pleurer !

En effet, le chien pleurait ; on eût dit la voix d’un être humain.

— Viens, Théo ! insista Zenon.

— Je ne puis pas abandonner Froufrou ainsi ! pleura-t-elle. Oh ! Mon oncle ! Mon oncle ! Je veux l’emmener avec nous !

— C’est de l’enfantillage, dit Zenon. Mais enfin, puisqu’il le faut !…

Tous deux retournèrent à la maison, et bientôt, Magdalena emportait Froufrou dans ses bras, afin qu’il n’aboyât pas, puis ils se dirigèrent, de nouveau vers le petit bois.

Zenon Lassève et Magdalena Carlin avaient quitté G…, pour n’y plus jamais revenir… Ils s’en allaient… à la grâce de Dieu.

V

PREMIÈRES ÉTAPES

Ils marchaient d’un bon pas, car ils voulaient, à tout prix, être loin de G…, au lever du soleil. Froufrou les précédait ou les suivait, tout joyeux, mais n’aboyant pas, comme s’il eut compris que ce n’était pas le temps de faire du bruit.

Deux heures durant, ils marchèrent ; mais bientôt, Zenon Lassève s’aperçut que son « neveu » ralentissait le pas. Pauvre Magdalena ! Elle relevait d’une grave maladie et ses forces n’étaient pas encore tout à fait revenues, inutile de le dire.

Vers une heure et demie du matin, ils parvinrent à proximité d’un village. Ils résolurent de s’arrêter et se reposer un peu ; ce serait folie d’essayer de procéder plus loin, pour le moment, Magdalena étant presque totalement épuisée.

Ils s’assirent sur le bord du chemin, puis, après s’être restaurés un peu, Zenon alla à la découverte. Il ne fut pas longtemps absent ; bientôt il revint et dit à Magdalena :

— Théo, j’ai découvert que nous sommes tout près d’une gare. Si tu ne crains pas de rester seul, j’aimerais aller faire une petite promenade dans la direction de cette gare.

— C’est bien, allez mon oncle, répondit-elle. Je n’ai pas peur ; Froufrou veillera sur moi, tout en me tenant compagnie.

— D’ailleurs, ce n’est qu’à quelques pas d’ici. Un appel de toi, et je reviens illico.

— C’est fort bien ! Allez, mon oncle !

Il fut absent un quart d’heure à peu près. Lorsqu’il revint, il dit, s’asseyant auprès de la jeune fille :

— Comment aimerais-tu faire le reste du trajet en wagon, Théo ?

— Le reste du trajet, mon oncle ? demanda-t-elle, en riant. Mais, d’abord, où allons-nous ?

— Ma foi, je n’en sais rien, répondit Zenon, riant à son tour.

— Et puis, en wagon, nous serions vus et reconnus, je le sais. Non, c’est impraticable, selon moi.

— Écoute, dit Zenon. Il ne s’agit pas de prendre un train de passagers, mais un train de marchandises.

— Un train de marchandises ? Je ne comprends pas votre idée, mon oncle. Nous ne serions pas admis et…

— Admis ! Bien sûr que non !

— Alors ?…

— Nous prendrons passage à bord, sans en demander permission ; voilà ! Il y a, à cette gare dont je viens, un train de marchandises, arrêté, pour réparations. Par une conversation que j’ai surprise entre les hommes de section, je sais que le train repartira dans moins d’une heure. Il se dirige vers la Rivière-du-Loup…

— La Rivière-du-Loup ! Si loin que cela ! Oh ! Quel bonheur de s’en aller si loin de G… ! Si, seulement, c’était possible ! s’écria Magdalena.

— C’est possible, Théo. Si tu veux avoir confiance en moi, suivre toutes mes instruc-