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le mystérieux monsieur de l’aigle

La jeune musicienne se retourna, et elle fut étonnée de voir plusieurs personnes debout, dans l’encadrement de la porte du salon ; c’était des pensionnaires de l’hôtel.

— Dis donc, fit l’un d’eux, en s’adressant à Magdalena, tu m’as l’air de posséder un vrai talent musical, petit ! Je t’ai entendu jouer de la mandoline déjà, et tu en joues en artiste !

— Où donc as-tu appris la musique, Théo ? demanda l’hôtelier.

Mais Magdalena ne fut pas dans l’embarras de répondre, car Zenon l’appelait, de dehors ; elle s’excusa donc et se hâta d’aller rejoindre son père adoptif.

Après cet incident, elle fut obligée de se surveiller, afin que Zenon ne s’aperçut pas combien son piano lui manquait.

— Sais-tu, Théo, dit, un jour Zenon Lassève, sais-tu que nous voilà déjà rendus aux derniers jours de juillet ? Le temps passe vite, très vite, n’est-ce pas ?

— Certes, mon oncle ! répondit Magdalena.

— Le mois d’août, c’est le mois précurseur de l’automne, selon moi, reprit Zenon. Les jours sont déjà plus courts, les nuits plus fraîches… Que les beaux jours sont courts ! c’est le cas de le dire, ajouta-t-il, en riant.

Cet après-midi-là, ils allèrent à la pêche. Or, tandis qu’ils essayaient à persuader le poisson de se laisser prendre, ils entendirent le bruit d’un engin à vapeur. S’étant retournés, ils virent un yacht, peinturé en blanc, aux cuivres polis, aux coussins de velours gros bleu se détachant du rivage.

— C’est le yacht du propriétaire du « château mystérieux », dit Magdalena.

— Oui. Je le reconnais répondit son compagnon. Il passe trop loin et trop rapidement cependant, pour qu’on puisse lire son non, à l’arrière.

Le yacht ne contenait qu’une seule personne, (à part de celui qui était à l’engin) : un homme, assis à l’arrière et qui paraissait lire. Impossible de voir son visage, qu’ombrageait la palette de sa casquette ; impossible, conséquemment, de deviner s’il était jeune ou vieux.

Un instant pourtant, il leva la tête de sur son livre et regarda la barque des pêcheurs, mais aussitôt, il se replongea dans sa lecture. Bientôt le yacht dépassait La Mouette, ne laissant sur son passage qu’un léger sillage.

— Il aurait bien pu nous saluer, ce monsieur, comme ça se fait par ici, entre navigateurs ! fit Magdalena, d’un ton quelque peu dépité. Il est bien désagréable le propriétaire du « château mystérieux », n’est-ce pas, mon oncle ?

— S’il est venu s’installer sur cette pointe avec l’intention de vivre dans la solitude et incognito, Théo… commença Zenon.

— Qu’importe ! Il aurait pu nous saluer, ou nous faire un signe de la main comme c’est l’habitude ici ! C’est un désagréable personnage !

Cette rencontre fit comprendre, plus que jamais, à Magdalena et à son père adoptif, la distance qui existait et qui existerait toujours probablement, entre La Hutte et le « château mystérieux ». Si la jeune fille avait caressé l’illusion de pouvoir s’associer, un jour, avec les jeunes filles ou garçons de l’intrigante demeure, elle dut être grandement désillusionnée.

— Il est bien désagréable ce monsieur qui habite le « château mystérieux » se dit-elle, ce soir-là, au moment de s’endormir. Oui, il est bien désagréable… Je le déteste presque ce type ! ajouta-t-elle. Oui, je le déteste… et je le détesterai toujours !

Théo, le petit pêcheur et batelier, ne savait pas ; il n’avait pas appris encore qu’il ne faut jurer de rien.

X

LE RÉSULTAT D’UNE IMPRUDENCE

Près de deux semaines se sont écoulées, depuis les événements racontés dans le précédent chapitre.

Quoique nos amis fussent allés à la pêche presque chaque jour, qu’ils eussent, plus d’une fois, traversé des excursionnistes aux Pèlerins et qu’ils fussent allés deux fois au Portage, ils ne revirent qu’une fois et de loin, le yacht qui les avait tant intéressés… ou, du moins, qui avait tant intéressé Magdalena.

La jeune fille essayait d’oublier qu’ils avaient des voisins ; d’ailleurs, à quoi bon penser à ces gens qui ne s’occupaient pas d’eux, qui paraissaient vouloir les ignorer complètement même ?

Un matin, Magdalena étant sortie de La Hutte de bonne heure et ayant jeté un regard autour d’elle, eut une exclamation de profond étonnement. Elle appela Zenon immédiatement :

— Mon oncle ! Ô mon oncle !

— Oui, Théo ! Je viens !

— Vite, mon oncle ! Vite !

— Qu’y a-t-il ? demanda Zenon, lorsqu’il fut arrivé auprès de sa fille adoptive.

— Voyez donc ! s’écria-t-elle. Les Pèlerins… Où sont-ils ?… On dirait qu’ils se sont engloutis sous les flots, durant la nuit !

— C’est la brume, mon enfant, répondit Zenon, la terrible brume. L’automne n’est pas bien loin maintenant ; il s’en vient vite, hélas !

— Mais… C’est… c’est lugubre cette brume, mon oncle ! Quand se lèvera-t-elle ? Sera-ce ainsi toute la journée ?

— Non, oh ! non. Vers les neuf heures probablement, lorsque le soleil aura pris de la force, la brume se dissipera. Mais, Théo, finies sont les excursions aux Pèlerins maintenant !

— Pourquoi donc ?

— Parce que la brume est la chose la plus dangereuse qu’on puisse imaginer, mon garçon. Sans avertissement aucun, elle se lève soudain et nous enveloppe de sa mante ouatée… Alors, si nous sommes sur l’eau, nous pouvons nous considérer perdus.

— Ô ciel ! C’est épouvantable ce que vous me dites là ! s’écria Magdalena.

— Épouvantable, tu l’as dit, Théo. Impossible de se diriger, dans la brume, et on pourrait s’en aller, à la dérive jusque… jusqu’au golfe, sans même s’en apercevoir, excepté quand il serait trop tard. Ou bien encore notre chaloupe se briserait contre quelque rocher, contre les Pèlerins même, ou contre cet-