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le mystérieux monsieur de l’aigle

de pareil. Vous me donnerez votre recette, n’est-ce pas ?

— Avec plaisir, M. Théo ! avait répondu Eusèbe, assurément très-flatté.

— Allez maintenant ! J’espère que vous réussirez à renflouer La Mouette.

— Nous y réussirons, j’en suis convaincu.

Et ils avaient réussi. À ce moment, La Mouette, bien réparée et peinturée de frais, se balançait au bout de son amarre, non loin de la maison. Mais ça n’avait pas été une petite affaire que le renflouage de la chaloupe, et ce ne fut que vers les deux heures de l’après-midi que L’Aiglon avait pu débarquer ses passagers en face de La Hutte.

Près de trois semaines s’étaient écoulées, depuis ces événements… On n’avait plus revu M. de L’Aigle, ni son yacht, même de loin…

Deux larmes s’échappèrent des yeux de Magdalena et tombèrent sur l’étoffe sombre qu’elle cousait ; on eut dit deux grosses perles. M. de L’Aigle avait été si bon, si bon pour le petit pêcheur Théo, et hélas ! pauvre Magdalena ! À part de Zenon Lassève et Mme d’Artois, personne ne l’avait aimée, personne même chez les plus charitables, les mieux intentionnés, une sorte de défiance, de mépris envers la « fille du pendu »…

En revanche, le propriétaire de L’Aiglon avait été parfait pour elle, oui, parfait. Il n’était donc pas surprenant qu’elle pensât à lui souvent et qu’elle aimât à revivre les heures passées à bord de son yacht… Sans cesse, elle revoyait son sourire aimable et bon… quoiqu’un peu énigmatique peut-être, lorsqu’il adressait la parole à son « petit ami »…

Une chose avait grandement étonné Magdalena pourtant. Lorsqu’elle et son père adoptif étaient revenus chez eux, après leur séjour sur L’Aiglon, Zenon avait dit à la jeune fille :

— Nous n’avons pas à nous plaindre de la réception que nous a faite M. de L’Aigle, hein, Théo ?

— Certes, mon oncle ! avait-elle répondu. Il nous a reçus princièrement !

— Comme devait le faire, il est vrai, tout parfait gentilhomme, avait achevé Zenon. Les naufragés recueillis à son bord, avaient, en quelque sorte, droit à ses attentions. Tout de même, M. de L’Aigle nous a reçus comme si, nous aussi, nous habitions un château, ajouta-t-il en souriant.

— Mon oncle, fit Magdalena, toute songeuse, il doit bien s’ennuyer en son domaine L’Aire, M. de L’Aigle. Il demeure là seul, avec des domestiques, nous a-t-il dit.

— Je présume cependant qu’il trouve le moyen de se distraire, tout comme nous le faisons, nous. Il possède, nous a-t-il dit aussi, une splendide bibliothèque, des serres superbes ; et puis, il est musicien. Avec tout cela il n’a aucune raison de s’ennuyer, ce me semble.

— Tout de même, c’est une vie joliment monotone, pour un jeune homme, ne trouvez-vous pas, oncle Zenon ?

— Je n’appellerais pas M. de L’Aigle « un jeune homme » Théo, dit Zenon en souriant.

— Comment ? Que voulez-vous dire ? M. de L’Aigle n’est pas jeune ?

M. de L’Aigle ne verra plus ses trente-cinq ans, je crois, cher enfant.

— Allons donc !

— Il a l’air beaucoup plus jeune que son âge, tu sais, Théo, M. de L’Aigle est grisonné aux tempes et…

— Vous me surprenez, oncle Zenon ! Vraiment, je n’en reviens pas ! Ne vous trompez-vous pas ?

— Non, je ne me trompe pas. Si M. de L’Aigle était brun, on verrait immédiatement ses cheveux gris ; mais une chevelure blonde cache, souvent, une multitude de cheveux gris ou blancs.

— Je le répète, je n’en reviens pas ! s’écria Magdalena.

— Crois-le, Théo, notre voisin n’est pas loin de la quarantaine… s’il l’a pas dépassée déjà.

Toute à l’étonnement qu’elle venait de ressentir, Magdalena fut longtemps silencieuse, puis elle demanda :

— Mon oncle, aviez-vous déjà vu M. de L’Aigle quelque part… avant que nous l’apercevions sur L’Aiglon, hier, je veux dire ?

— Si je l’avais déjà vu ? Mais non ! Pourquoi me demandes-tu cela, Théo ?

— Parce que, lorsque je l’ai aperçu, moi j’ai eu l’impression de ne pas le voir pour la première fois…

— Vraiment ? fit Zenon. Eh bien, tu l’auras peut-être vu soit au Portage, soit à la Rivière du Loup… Il a souvent affaire au Portage, nous a-t-il dit.

— Ça se peut que je l’aie vu au Portage, répondit-elle. Mais, chose certaine, c’est qu’hier, ce n’était pas la première fois que je voyais M. de L’Aigle, je l’affirme… Je ne sais si nous le reverrons… ajouta-t-elle, songeuse.

— Ce n’est guère probable… et il serait préférable, je crois, que nous nous disions que nos relations avec le propriétaire de L’Aire sont finies pour toujours, Théo.

— J’espère que non pourtant… murmura Magdalena, d’une voix légèrement tremblante.

Zenon Lassève jeta sur la jeune fille un regard perçant, puis, ayant secoué la tête d’un air assez triste, il sortit de La Hutte en soupirant.

II

LA FAMILLE ROCQUES

Le seul ami, le seul visiteur qu’avaient les Lassève, c’était Séverin Rocques. Séverin arrivait à La Hutte « sans tambour ni trompette », à propos de tout et de rien, et toujours il était le très bien accueilli. Quand il le pouvait, il restait à diner ou à souper. Mais cela ne lui arrivait pas souvent, car il n’aimait pas à laisser seule sa mère, qu’il adorait, et dont il était continuellement inquiet.

Il y avait eu une tragédie dans la vie des Rocques et Mme Rocques n’en revenait pas. Il est vrai que cette tragédie avait eu lieu seulement à la fin de l’hiver précédent. Mme Rocques était totalement changée, depuis ; de forte et bien portant qu’elle avait toujours été, elle