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le mystérieux monsieur de l’aigle

Saint-André, sans qu’on sache son nom, ni où il demeure ?

— Non, M. Lassève. M. de L’Aigle n’est pas connu, à Saint-André, pas même de vue. Je crois qu’il fait transporter son équipage sur un bac, aussitôt qu’il a quitté le Portage… J’ai vu ce bac souvent, sans en comprendre l’utilité.

— Probablement que l’accès de L’Aire est trop difficile, du moins durant cette saison, pour que M. de L’Aigle puisse procéder autrement, répondit Zenon, et cette réponse termina la conversation, en ce qui concernait Claude et ses affaires.

Le reste du voyage se fit sans autres incidents dignes d’être rapportés.

Enfin, on arriva devant une maison blanche, aux contrevents verts, perdue au milieu d’une minuscule forêt d’érable.

— C’est ici que demeure Mme Fabien, dit Séverin. Venez ! ajouta-t-il, en s’adressant à Zenon et à Magdalena, après avoir attaché Rex à un arbre.

Nos deux amis hésitèrent, durant l’espace de quelques instants ; ils éprouvaient cette sorte de gêne qu’on éprouve généralement à se présenter chez des inconnus. Séverin, il est vrai, leur avait dit des choses merveilleuses sur le compte de Mme Fabien ; mais, il faut si peu, souvent, pour se sentir de trop ; un regard… un silence… une intonation froide… un rien, suffit pour faire comprendre à un étranger qu’il n’est pas le très bienvenu.

Leur hésitation fut de courte durée, pourtant, et bientôt, ils furent à côté de Séverin, lorsque celui-ci frappa à la porte de la maison.

La porte venait d’être ouverte par une femme d’une soixantaine d’années, aux cheveux blancs, aux yeux bleus, très doux ; de fait, la bonté rayonnait dans toute sa personne.

— Séverin ! s’exclama-t-elle. Enfin ! Tu t’es décidé de venir me voir ! Entre, Séverin, entre ! Tu es le bienvenu mille fois, ainsi que tes amis !

— Hein ! semblait dire le regard de Séverin à ses compagnons. Je vous l’avais bien dit que vous seriez les bienvenus ! Mme Fabien, fit-il, lorsqu’il eut donné deux résonnants baisers à cette bonne dame, je vous présente M. Lassève, de la Pointe Saint-André et…

— Je suis heureuse de faire votre connaissance, M. Lassève, répondit la brave femme, et laissez-moi vous assurer que vous êtes le très-bienvenu, ajouta-t-elle, en tendant la main à Zenon.

— Merci, Madame, dit Zenon, en s’inclinant devant Mme Fabien.

— Je vous présente, maintenant, Théo, le neveu de M. Lassève, aussi de la Pointe, continua Séverin, attirant Magdalena auprès de Mme Fabien.

— Oh ! Le bel enfant ! s’écria Mme Fabien, en donnant un baiser à la jeune fille, qui sourit et rougit en même temps.

Elle jeta, machinalement, les yeux sur Séverin, et elle faillit éclater de rire, en le voyant lui faire un clin d’œil : ce clin d’œil tout comme le regard de tout à l’heure, disait si clairement :

— Hein ! Je te l’avais bien dit qu’elle t’embrasserait la brave femme !

IX

UNE JOYEUSE SURPRISE

Leur excursion à la Rivière-du-Loup leur fit du bien à tous. Magdalena paraissait plus joyeuse ; on eut pu l’entendre chanter dans et autour de La Hutte, tout en vaquant à ses occupations journalières.

La réception si cordiale que leur avait fait cette bonne Mme Fabien les avait impressionnés très favorablement, et même, ils l’avaient invitée à venir leur rendre visite, à la pointe ; Mme Fabien avait accepté. Pas avant l’été, bien sûr ; mais elle irait, durant la prochaine belle saison. On ne l’oublierait pas ; Séverin irait la chercher en voiture, quand le temps en serait venu.

Une chose avait fait grand plaisir à Magdalena : au moment où ils allaient partir, pour retourner à Saint-André, Mme Fabien avait remis à la jeune fille un gros bouquet de fleurs variées.

— Je sais que tu aimes les fleurs, petit, lui avait-elle dit, car je t’ai vu les admirer, dans le jardin.

— Si j’aime les fleurs, Madame ! s’était écriée Magdalena. Et c’est pour moi, pour moi, ce splendide bouquet ?

— Bien sûr, cher enfant.

— Oh ! Comment vous remercier, Mme Fabien !

— Je suis contente de te faire plaisir, Théo, avait répondu la bonne dame. L’année prochaine, par exemple, tu viendras me voir dans le mois de juin ou de juillet ; les fleurs sont dans toute leur splendeur alors, et tu seras à même d’en cueillir autant que tu en voudras.

— Que vous êtes bonne, Mme Fabien ! s’était écriée la jeune fille, en donnant un baiser à la brave femme.

Ces fleurs, inutile de le dire, Magdalena en prit grand soin ; même, pour le voyage de retour, elle céda sa place à son père adoptif, sur le premier siège, préférant le second, afin de pouvoir avoir l’œil à son bouquet.

Ce fut donc au tour de Zenon Lassève de prendre des leçons, en retournant à Saint-André. Il s’y entendait peu lui-même, n’ayant jamais possédé de cheval et n’en ayant conduit que rarement, dans sa vie.

— Dois-je dire mon acte de contrition, à mon tour, mon oncle ? demanda Magdalena, en riant au moment où l’on partait.

— « La prudence est la mère de la sûreté » cita Zenon, riant d’un bon cœur lui aussi.

Arrivée à La Hutte, le premier soin de notre héroïne fut pour ses fleurs. Le lendemain, elle allait les cirer toutes, si possible, elle cirerait aussi les plus belles feuilles. Le bouquet entier fut donc mis dans un grand pot rempli d’eau, qui fut ensuite placé sur la table.

— Quel splendide centre de table, hein, mon oncle ? s’écria-t-elle, lorsqu’ils se fussent attablés pour le souper.

— On ne se prive de rien, à La Hutte, n’est-