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le mystérieux monsieur de l’aigle

— « Joli » ne semble pas le qualificatif approprié non plus, répondit la jeune fille. J’aimerais mieux ne rien dire du tout. Vos serres ne sont pas jolies, M. de L’Aigle ; elles sont splendides !

Claude conduisit ses invités au salon, la pièce la plus vaste et la plus somptueuse de L’Aire, ce qui n’est pas peu dire. Là était le piano de concert dont il avait parlé à Magdalena. Il y avait aussi d’autres instruments : une harpe, un violon, un violoncelle, une guitare, une mandoline ; décidément, le propriétaire de L’Aire était un grand musicien devant l’Éternel.

Une des premières choses qui frappa les yeux de notre héroïne, en entrant dans le salon, après le piano s’entend, ce fut un grand portrait à l’huile, représentant une jeune femme blonde, aux yeux bleus, et qui paraissait sourire de son cadre. Magdalena ressentit une petite douleur dans les régions du cœur, en regardant ce portrait… Qui était cette femme, pour que M. de L’Aigle lui donnât une place d’honneur ainsi dans sa maison ?… Mais peut-être était-ce sa sœur ?… N’avait-elle pas, tout comme Claude, les cheveux blonds, les yeux bleus ?…

— C’est votre sœur, cette dame, M. de L’Aigle ? demanda-t-elle, en désignant le portrait.

— Je n’ai ni sœur, ni frère ; je n’en ai jamais eu, Théo, répondit-il. Cette dame, qui nous sourit de son cadre, c’est ma cousine Thaïs, Mme de Saint-Georges.

— Ah ! fit-elle, vraiment ? Elle avait une grande envie de pleurer la pauvre enfant. Elle est bien belle, ajouta-t-elle.

— Jolie, tout au plus, dit Claude, d’un ton indifférent qui plut étrangement à Magdalena. Mme de Saint-Georges est veuve, continua-t-il, sans se douter, bien sûr, de l’impression de tristesse dont son « petit ami » venait d’être envahi, à l’énoncé de cette nouvelle. Elle demeure à Toronto. Nous sommes amis, Thaïs et moi, depuis l’enfance, quoique je sois de cinq ans plus âgé qu’elle. Nous n’avons pas l’occasion de nous rencontrer bien souvent, mais nous correspondons assez régulièrement, elle et moi. Mais, voyez ce petit cabinet, ajouta-t-il ; on prétend que le bois en a été sculpté par un des plus grands artistes du monde.

— C’est superbe ! s’écria-t-elle.

Elle pensa à ce bon Séverin. S’il lui était donc donné de voir ce cabinet, il essayerait, elle en était sûre, de l’imiter. Malgré elle, elle sourit.

— Eh ! bien, n’allons-nous pas avoir un peu de chant et de musique, ce soir ? demanda tout à coup Zenon.

— Tout de suite, M. Lassève ! répondit Claude, en souriant. Venez, Théo, mon petit ami !

Le reste de la veillée se passa à faire de la musique et à chanter, puis vers les dix heures et demie, Magdalena se retira pour la nuit, laissant les deux hommes se rendre au fumoir, pour au moins une heure encore.

Mais avant de se mettre au lit, elle écrivit, presque d’un trait, les vers suivants, en pensant à la serre aux roses, qui l’avait tant émerveillée.

NE TOUCHEZ PAS À LA ROSE

Oh ! NE touchez pas à la rose !…
Si vous tenez à la cueillir,
Vous la verrez bientôt mourir ;
La rose est si fragile chose !
Oh ! NE touchez pas à la rose !…

Oh ! NE touchez pas à la rose !…
De son calice parfumé
Tout l’univers est embaumé ;  ;
La rose est une exquise chose !
Oh ! NE touchez pas à la rose !…

Oh ! NE touchez pas à la rose !…
Vraiment, elle est un don du ciel…
La cueillir serait criminel ;
La rose est si splendide chose !
Oh ! NE touchez pas à la rose !…

Oh ! NE touchez pas à la rose !…
Pourquoi commettre un tel délit ?…
De sa tige elle vous sourit ;
La rose est si charmante chose !
Oh ! NE touchez pas à la rose !…

Oh ! NE touchez pas à la rose !…
Car, ne vous l’a-t-on jamais dit
Que, même dans le ciel fleurit
La rose ? Ah ! la mystique chose !
Oh ! NE touchez pas à la rose !…

XIV

PAS FURTIFS

À peine sa tête eut-elle touché son oreiller, que Magdalena s’endormit.

Elle dormit profondément et paisiblement, jusqu’à vers les trois heures du matin, heure à laquelle elle s’éveilla en sursaut, sous l’effet d’un rêve étrange : elle venait d’assister à un combat sanglant entre les trois aigles de L’Aire ; nous voulons dire les deux aigles en pierre à l’entrée de la maison, et l’aigle en bronze du corridor. Dans son rêve, elle avait voulu séparer les oiseaux de proie ; mais voilà que l’aigle de bronze s’était élancé vers elle, les serres prêtes à la saisir. Alors, elle s’était éveillée, le visage couvert d’une transpiration glacée.

— Quel rêve stupide je viens de faire ! se dit-elle, souriant, malgré tout et se frottant les yeux du revers de ses mains. J’espère que ça ne m’arrivera plus… On dit que, en changeant de position, cela change aussi la nature de ses rêves. Allons !

À moitié éveillée, elle se retourna dans son lit et elle allait se rendormir, lorsqu’elle leva soudain la tête de sur son oreiller et écouta… Qu’entendait-elle ?… Des pas furtifs, dans le corridor ?… Oui… Quelqu’un marchait, avec d’infinies précautions… Magdalena entendait craquer le plancher… Ces pas… Ce craquement… Ils venaient de l’une des extrémités du corridor… Ils approchaient de sa chambre… ils étaient tout près de sa porte maintenant… Ils venaient de s’arrêter…

Le souffle suspendu, la poitrine haletante, Magdalena écoutait… Elle s’était assise sur