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le mystérieux monsieur de l’aigle

la charge de la même école, à l’automne, puisqu’elle lui avait été offerte ! Mais elle avait refusé. Elle avait d’autres ambitions vraiment ! Devenir la secrétaire de M. de L’Aigle ; obtenir son entrée à L’Aire ; c’étaient là choses de la plus haute importance.

— Une fois installée à L’Aire en qualité de secrétaire, se disait la jeune illusionnée, je n’en sortirai plus. M. de L’Aigle est célibataire… Je me rendrai si utile, si agréable, si indispensable même que… D’ailleurs, rien ne crée l’intimité comme un contact journalier… Oui, que j’entre à L’Aire seulement et, je le jure, je n’en sortirai plus… « Madame de L’Aigle, de L’Aire »… ajouta-t-elle avec complaisance ; ce titre sera le mien un jour… bientôt peut-être.

Est-il surprenant qu’avec de telles ambitions, Euphémie resta sourde aux pleurs et aux supplications de sa mère ? Hormis d’avoir le cœur à la bonne place, c’eut été impossible, et Euphémie…

Mais, pauvre Euphémie ! Pauvre fille ! Et aussi, pauvre Claude ! Qu’il était loin de soupçonner sa future secrétaire de comploter contre sa liberté de célibataire ! L’eut-il soupçonné cependant, cela l’eut probablement fort amusé.

À la fin de la première semaine d’octobre donc, de fait, le lendemain du transport du piano de L’Aiglon à La Hutte, Euphémie partit pour la Pointe Saint-André.

XVI

AMÈRES DÉCEPTIONS

Claude de L’Aigle était à lire, dans la bibliothèque, lorsqu’Eusèbe vint lui annoncer qu’il y avait, dans le corridor d’entrée, une demoiselle qui demandait à lui parler.

— Qui est-ce ? demanda Claude.

— C’est Mlle Cotonnier, M. Claude, répondit Eusèbe.

Mlle Cotonnier ?… Et que me veut-elle Mlle Cotonnier ?

— Elle dit qu’elle a été engagée comme secrétaire ici, dit le domestique.

— Ah ! oui ! fit Claude. Je l’avais complètement oubliée. Fais entrer Mlle Cotonnier, Eusèbe.

En apercevant Euphémie, Claude ne put s’empêcher de se dire : « Elle a passé loin de la beauté Mlle Euphémie ! De plus, elle doit être prétentieuse et affectée ».

Il ne se trompait pas. Quant à son apparence personnelle, Euphémie n’était peut-être pas de celles dont on dit : « Ciel ! Qu’elle est laide ! » ; mais elle n’était certainement pas jolie, avec ses cheveux très roux, ses yeux très pâles, son nez franchement retroussé, et sa bouche, dont la lèvre supérieure, trop courte, découvrait trois dents trop longues, trop larges, quoique saines et blanches. De plus, Euphémie était très grande (trop, pour être élégante, ou du moins gracieuse), très mince (trop mince, car on eut dit qu’elle allait casser, à la ligne de la taille). Ses épaules, légèrement courbées, donnait aussi un air assez gauche à la future secrétaire.

Que dire du caractère d’Euphémie Cotonnier ? Nous en jugerons, plus tard ; pour le moment, qu’il nous suffise de dire que Claude l’avait jugée correctement ; la nièce de la cuisinière de L’Aire était ridiculement prétentieuse et affectée.

Mlle Cotonnier ? fit Claude, en se levant pour la recevoir.

Il la salua, sans lui tendre la main ; chose qu’Euphémie remarqua, mais dont elle se consola vite en se disant que, sans doute, cette omission de la part de M. de L’Aigle était du meilleur goût, tout à fait dans le ton.

— Oui, M. de L’Aigle, je suis Mlle Cotonnier. J’aurais voulu arriver au commencement de cette semaine, mais je ne l’ai pu.

Ça ne fait aucune différence, répondit Claude. J’étais absent ; donc, rien ne pressait. Vous êtes venue pour rester ?

Un peu de rose était monté aux joues ordinairement pâles d’Euphémie, à cette question. Venue pour rester ?… Certes, oui ! Elle comprenait bien cependant dans quel sens M. de L’Aigle avait parlé, car elle ne manquait certainement pas d’intelligence ; elle ne manquait pas d’un certain instinct non plus, qui remplaçait, chez elle, le tact qui lui manquait, souvent.

— Oui, je suis venue pour rester, M. de L’Aigle, répondit-elle. Si vous désirez que je me mette à l’œuvre immédiatement…

— Pas du tout ! Il est déjà trois heures d’ailleurs. Votre travail commencera à dix heures, chaque matin, pour se terminer à cinq heures de l’après-midi. Mais, je m’explique mal ; je devrais dire, de dix heures à midi, puis de deux heures à cinq. Trouvez-vous ces heures trop longues ?

— Trop longues ? Elles sont très courtes, au contraire.

— Je vous en avertis, Mlle Cotonnier, ça ne sera pas une sinécure que votre position de secrétaire, fit Claude en souriant. Mes manuscrits sont difficiles à déchiffrer ; ce sont d’affreux brouillons, qu’il vous faudra débrouiller ; voilà.

— Je peux vous assurer d’avance, je crois, M. de L’Aigle, que j’en viendrai bien à bout… Puis-je vous demander sur quel sujet vous écrivez ?

— Sur l’astronomie. Sujet un peu aride, n’est-ce pas ?

— Aride ! Certes, non ! J’aime l’astronomie à la folie et je m’y entends quelque peu. Je ne demande qu’à me renseigner davantage en cette science, en recopiant vos manuscrits, M. de L’Aigle.

Cette bonne Euphémie mentait en assurant qu’elle s’intéressait à l’évolution des astres. Au pensionnat, à l’heure de la leçon d’astronomie, elle avait généralement trouvé le moyen de s’esquiver, tant cela l’ennuyait. Mais elle se dit qu’il valait mieux poser à la jeune fille savante, se faire passer pour une espèce de bas bleu auprès de M. de L’Aigle.

— Tant mieux alors ! fit Claude. Avez-vous vu votre tante ? demanda-t-il.

Le visage de la secrétaire se rembrunit. Pourquoi M. de L’Aigle lui rappelait-il sa parenté avec la cuisinière de L’Aire ? Voulait-il