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le mystérieux monsieur de l’aigle

tant l’escalier dérobé. Elle fronça légèrement les sourcils ; ces pas, elle les reconnaissait : c’étaient ceux de sa tante. Elle s’arrêta et attendit.

— Euphémie ! s’écria Candide, lorsqu’elle arriva, hors d’haleine, auprès de sa nièce et qu’elle lui eut donné un baiser — dont Euphémie se serait bien passée pourtant. — J’n’ai pu monter te voir plus tôt, étant trop occupée ; mais, me voilà ! Comment te portes-tu, ma petite ? Et comment était ta mère, lorsque tu l’as quittée ?

— Merci, ma tante, nous nous portons bien, toutes deux.

— Et ta chambre ? Comment l’as-tu aimée, hein ?

Euphémie fit une moue, que sa tante ne vit pas cependant.

— On ne saurait désirer mieux, répondit-elle, avec une sincérité… douteuse. Mais, ma tante, laissez-moi passer, s’il vous plait.

— Mais, où vas-tu donc, si pressée et si endimanchée, Euphémie ? demanda Candide. Te voilà mise comme… comme la reine d’Angleterre !

— Je me rends à la salle à manger, tante Candide. La deuxième cloche du dîner est sonnée et…

— À la salle à manger, dis-tu ! cria presque Candide. Dans la salle à manger ! Mais…

— Ma tante, j’arriverai en retard, pour sûr, si vous me retenez plus longtemps et M. de L’Aigle…

— Comment ! Tu crois que tu vas prendre tes repas dans la salle à manger, avec M. de L’Aigle !

— Sans doute… Ne me retenez pas, ma tante.

— Ma pauvre Euphémie ! Je te conseille fortement de ne pas essayer cela, si tu ne veux pas perdre ta position de secrétaire avant même de l’occuper. Ne cherche pas à imposer ta présence à M. de L’Aigle, ma fille. Crois-moi, c’est dans ton intérêt que j’parle. D’ailleurs, j’lui ai promis…

— Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire, tante Candide ! répondit Euphémie, avec un frisson intérieur, car, hélas ! elle ne comprenait que trop.

— Tu dois prendre tes repas avec moi, et Rosine et Eusèbe, et Xavier dans notre salle à manger, à nous. Ce n’est pas la grandiose salle du maître de la maison, mais c’est une jolie petite pièce tout de même que celle dans laquelle nous prenons nos repas. Nous dînons à sept heures. Rosine viendra te chercher quand le temps sera venu. Au revoir, ma fille !

Euphémie retourna dans sa chambre et… elle attendit… Sa tante se trompait, bien sûr, et dans quelques instants, on viendrait l’avertir que M. de L’Aigle l’attendait pour dîner.

Mais la troisième cloche sonna, à six heures et demie… Cinq, dix, quinze minutes s’écoulèrent, puis quinze autres… et Rosine vint chercher Euphémie pour dîner dans les quartiers des domestiques.

Cependant, l’espoir est tenace aux cœurs des humains ; Euphémie se dit que M. de L’Aigle ne manquerait pas de lui demander, le lendemain, pourquoi elle n’était pas descendue dîner avec lui, la veille. Hélas ! Hélas ! Pauvre fille ! Elle était restée insensible aux larmes et aux supplications de sa mère ; elle était partie pour L’Aire quand même ; elle était punie pour son manque de cœur ; Claude s’informa de la manière dont sa tante l’avait installée ; il lui demanda si elle était satisfaite et confortable dans sa chambre… et c’est tout.

Claude de L’Aigle constata vite que Mlle Cotonnier était le modèle des secrétaires ; elle déchiffrait les manuscrits les plus illisibles très facilement ; elle écrivait très lisiblement et très correctement ; on n’aurait pu désirer mieux. Elle avait bien ses petites particularités, il est vrai ; mais qui n’en a pas ? La curiosité paraissait être son défaut dominant : Claude l’avait surprise, plus d’une fois, examinant les adresses des lettres qu’il recevait, et il avait dû recommander à Eusèbe de lui remettre son courrier personnellement, plutôt que de le déposer sur sa table à écrire, comme il avait toujours eu l’habitude de le faire.

Claude était toujours très courtois envers sa secrétaire, comme il l’était envers toutes les dames d’ailleurs, et cette courtoisie, si naturelle chez lui, nourrissait les illusions d’Euphémie. Elle ne désespérait pas de se faire aimer un jour du propriétaire de L’Aire. Il devait beaucoup s’ennuyer cet homme, seul dans son domaine comme il l’était. Car, jamais personne ne venait lui rendre visite. Depuis près de trois mois qu’elle demeurait avec lui, jamais elle n’avait eu connaissance de l’arrivée de qui que ce fut, ni homme, ni femme… en ce qui concernait ces dernières, il y avait de quoi se réjouir, lui semblait-il.

Mais voilà que, le 1er janvier, alors qu’elle faisait sa correspondance personnelle dans l’étude, elle avait vu la porte s’ouvrir pour livrer passage à M. de L’Aigle, accompagné de deux étrangers. Elle avait jeté sur eux un coup d’œil perçant et rapide, mais aussitôt, elle avait été complètement rassurée. Il n’y avait rien d’inquiétant non plus pour ses ambitieux projets d’avenir dans l’apparence des compagnons de Claude de L’Aigle : un tranquille vieillard et un timide garçonnet !

XVII

LE RETOUR À LA HUTTE

Zenon et Magdalena venaient de quitter L’Aire ; ils retournaient chez eux, après avoir passé près de deux jours avec Claude.

On était au lendemain du Jour de l’An ; il était deux heures de l’après-midi. Ils s’étaient proposés de partir dans l’avant-midi ; mais on avait fait la grasse matinée, vu qu’on s’était couché fort tard. Il était une heure du matin lorsque Claude et ses visiteurs s’étaient décidés enfin à quitter l’observatoire, après avoir étudié les astres, à travers le télescope, un télescope puissant, que le propriétaire de L’Aire s’était procuré, à grand frais. Il passait deux heures, lorsque chacun s’était retiré dans sa chambre à coucher. S’il y eut des pas furtifs, des craquements du plancher, le reste de cette nuit-là, soit dans le corridor, soit dans l’alcôve attenant à sa chambre, Magdalena ne