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le mystérieux monsieur de l’aigle

M. Théo, fit le domestique ; cet autre paquet vient de Candide.

— Qu’est-ce donc, Eusèbe ?

— Je ne sais pas, M. Théo, répondit Eusèbe, Bon voyage, Messieurs, ajouta-t-il. J’espère que vous trouverez les chemins bien passables. M. de L’Aigle m’a envoyé examiner la route, ce matin ; je ne crois pas que la tempête d’hier ait fait beaucoup de ravages. Vous n’aurez qu’à suivre les balises d’ailleurs.

— Merci, Eusèbe, répondit Zenon. Marche, Rex ajouta-t-il, et l’on partit.

Rex avançait lentement et tout alla bien, pendant une demi-heure à peu près. Mais soudain, le cheval s’arrêta et, pointant les oreilles, se mit à renâcler très fort.

— Qu’a donc Rex ? demanda Magdalena.

— Je ne sais pas, Théo. Il voit quelque chose que nous ne voyons pas, nous, ou bien…

— Ou bien il pressent quelque danger.

— Quel danger veux-tu qu’il pressente, mon garçon ? Allons, Rex ! Marche ! Beau cheval, marche !

Rex avança de quelques pas, puis il s’arrêta de nouveau et se mit à piocher le sol.

— Ah ! fit Zenon tout à coup. On n’aperçoit plus les balises !

— Ô ciel ! s’écria Magdalena. La tempête d’hier…

— Oui la tempête a fait des siennes, c’est évident. Il est évident aussi qu’Eusèbe n’a pas poussé ses investigations jusqu’ici… Comment allons-nous passer à travers ce banc de neige, je te le demande !

— Pourquoi la neige s’est-elle accumulée ainsi à cet endroit, mon oncle ?

— Cet endroit est très exposé au vent, Théo… Ce qu’il y a d’embêtant, c’est que, sous ces bancs de neige, ou tout à côté, il y a peut-être des presque précipices.

— Qu’allons-nous faire, oncle Zenon ? Retourner à L’Aire ?

— Retourner à L’Aire ? Certes non ! je vais descendre de voiture et conduire le cheval par la bride. Tiens, mon garçon, je te charge des rubans.

— Mais, mon oncle… Le danger pour vous…

— C’est le seul moyen, cher enfant. Quant au danger que je cours, il est absolument nul.

Ce disant, Zenon descendit de la cariole et il essaya un peu le terrain, avant d’y risquer le cheval. Il fit bien, car, à peine eut-il fait dix pas qu’il arriva dans un trou assez profond.

— Mon oncle ! Mon oncle ! cria Magdalena.

— Ce n’est rien, Théo, fit Zenon, en se relevant. Seulement, il va me falloir une gaule, afin de pouvoir tâter le chemin avant de m’y aventurer de nouveau. Attends ! il doit y avoir une petite hachette sous le siège de la cariole ?

— Oui. La voilà !

Avec la hachette, Zenon coupa une forte branche de sapin, après quoi il se mit en marche. Enfin, il trouva un terrain moins accidenté. Prenant Rex par la bride, il l’entraîna à sa suite.

Mais ce fut un long et pénible cheminement. Heureusement, le temps était assez doux. S’il eût fait froid, tous deux auraient pâti et il serait survenu peut-être quelque catastrophe. Heureusement, aussi ils rencontrèrent des bouts de chemin balisés.

Tout de même partis de L’Aire à deux heures de l’après-midi, ce ne fut que vers cinq heures du soir qu’ils arrivèrent à La Hutte. Ce trajet, accompli en une heure à l’aller, se fit en trois heures, au retour.

Mais tout a une fin en ce monde, même les cheminements les plus difficiles, et ils finirent à arriver. Tandis que Zenon dételait Rex, sa fille adoptive allumait le feu dans le poêle de la salle et faisait une grande flambée dans le foyer de sa chambre à coucher.

La boite venant de Xavier fut ouverte ensuite ; elle contenait des roses, et il y en avait ! Bien empaquetées, elles n’avaient pas souffert du froid. Magdalena s’empressa de les mettre dans l’eau. Elle ne put s’empêcher de pleurer en apercevant ces fleurs, qui lui rappelaient les plus belles heures de sa vie, si tôt, trop tôt écoulées. L’Aire… ses serres splendides… Les reverrait-elle jamais ?

Mais elle ne se livra pas longtemps à ces tristes pensées ; Zenon venait d’entrer et il était affamé et à moitié gelé.

— L’eau chante déjà, dans la bombe, mon oncle, lui dit-elle ; nous allons pouvoir boire une bonne tasse de thé bien chaud, en attendant l’heure du souper. Approchez-vous du poêle ; il répand une chaleur que vous ne manquerez pas d’apprécier, j’en suis certaine.

— Nous ne nous ferons pas prier pour manger une bouchée, ni toi ni moi, n’est-ce pas Théo ? fit Zenon, en s’approchant du feu. Quant à moi, je t’avoue que je meurs de faim.

— Je vais organiser un souper quelconque, répondit la jeune fille. Heureusement nous avons des provisions en conserves. Le pain va nous manquer, c’est vrai ; mais nous nous en passerons, aussi philosophiquement que possible. Moi aussi, j’ai bien faim.

Tout en parlant, elle enlevait les ficelles du paquet venant de Candide.

— Ô mon oncle ! s’exclama-t-elle. Voyez donc ! Le cadeau de cette bonne Candide… La brave femme prévoyait que nous arriverions ici peut-être en retard, très affamés, et qu’il n’y aurait, naturellement rien de prêt pour le souper.

Le cadeau de Candide consistait en deux volailles rôties, farcies aux fines herbes ; des pommes de terre, cuites dans la sauce des volailles ; un pot de gelée et un gros pain, qu’elle avait cuit elle-même.

— Elle a été bien inspirée cette bonne Candide ! dit Zenon en souriant.

— Quel festin, n’est-ce pas mon oncle ! Le souper est tout cuit ; il ne suffit que de le réchauffer sur un feu doux.

— Vive Candide ! s’exclama Zenon, mis en joie par le festin en perspective. Elle nous sauve la vie, vraiment !

Bientôt tout deux se mettaient à table et, est-ce nécessaire de dire que l’appétit ne manqua pas ? Ils dévorèrent littéralement des mets exquis, dus à la prévoyance de la cuisinière de L’Aire. Mais ils savaient bien que Candide n’avait agi que d’après l’inspiration de Claude et à sa suggestion.