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le mystérieux monsieur de l’aigle

tifice furent lancés, du rivage et du yacht, et cela dura plus qu’une heure.

Il était minuit, lorsque Magdalena se déclarant lasse, se retira dans sa chambre. Thaïs était, depuis près d’une heure, dans les bras de Morphée, car elle était un peu fatiguée de son voyage.

Magdalena, revêtue d’un négligé, venait de s’installer dans un fauteuil avec un livre, (car elle allait lire, jusqu’à ce que le sommeil la prit), lorsqu’on frappa à sa porte de chambre.

— Entrez ! dit-elle. Ah ! ajouta-t-elle aussitôt. C’est vous, Mme d’Artois ? Asseyez-vous je suis contente que vous veniez me tenir compagnie.

— Vous devez être bien fatiguée, Magdalena ! s’écria Mme d’Artois.

— Un peu, je l’avoue… Mais, Mme d’Artois, je suis si heureuse, si heureuse ! N’est-ce pas qu’il a été parfait ce jour anniversaire de notre mariage ?

— Certes, oui !… Je crois, Magdalena… non, j’en suis sûre… que vous êtes la femme la plus heureuse du monde.

— Vous pouvez en être sûre, répondit la jeune femme en souriant. Claude est le modèle des maris et… Mais, reprit-elle, tandis qu’un léger nuage paraissait un instant sur son front, dites-moi franchement, Mme d’Artois… croyez-vous que nous ayons le… le droit d’être aussi parfaitement heureux que nous le sommes, Claude et moi, en ce monde ?

— Mais… Sans doute, chère enfant ! Pourquoi pas ? En voilà une étrange question !

— Pourtant… Je… Je… ne sais pas… murmura la jeune femme. Ne sommes-nous pas en ce monde pour souffrir, pour gagner le ciel ?…

— Allons ! Allons, Magdalena ! s’écria Mme d’Artois. Vous êtes heureuse parce que vous méritez de l’être…

— Ah ! Mme d’Artois ! Combien de femmes, en ce monde, toutes à leur devoir pourtant, qui mériteraient d’être heureuses et qui ne le sont pas !

— Je ne conteste pas cela, ma pauvre enfant… Vous êtes plus chanceuse que bien d’autres ; voilà. Le bonheur, fondé sur l’accomplissement de son devoir, n’a pas lieu d’inquiéter… d’effrayer, encore moins, croyez-le.

— Non, n’est-ce pas ?… Par moments, cependant, je me demande si… si… ça peut durer… ce bonheur… Je suis trop heureuse, voyez-vous, ma bonne amie, fit Magdalena en frissonnant. On dirait, parfois, le calme parfait avant la tempête… Peut-être que nous avons de grandes épreuves en réserve…

— Voyons, Magdalena ! Ne vous mettez pas martel en tête, je vous prie ! Couchez-vous plutôt, chère enfant et essayez de dormir. Vous êtes fatiguée, ça se comprend, et c’est pourquoi il vous passe de telles idées dans l’esprit. Demain, il n’y paraîtra plus et, je le prédis, vous redeviendrez gaie comme pinson.

Mais le charmant visage de la jeune femme restait attristé.

Mme d’Artois, dit-elle, d’une voix remplie de larmes, comprenez-vous cela ? mon bonheur me fait peur… oui, peur… C’est comme si j’avais le pressentiment de… de… quelque catastrophe… que sais-je ?… Il me semble, souvent, qu’il faut qu’il arrive quelque chose. Et elle fondit en sanglots, au grand découragement de Mme d’Artois.

— Ma pauvre enfant, fit Mme d’Artois, suivez mon conseil : couchez-vous et dormez. Vous êtes épuisée de fatigue et profondément énervée, en ce moment. Je vais vous préparer une potion calmante immédiatement. Quand vous aurez bien dormi, vous vous sentirez mieux, et demain, je vous le prédis, vous serez la première à rire de ce que vous appelez vos « pressentiments ».

La potion calmante ayant été préparée, Magdalena la but docilement et bientôt, Mme d’Artois eut la satisfaction de voir la jeune femme plus calme, déjà presque reposée.

— Bonne nuit, Magdalena, dit-elle en déposant un baiser sur le front de la jeune femme. Et puissiez-vous être heureuse toujours, comme vous l’avez été, en ce jour anniversaire de votre mariage !

— Merci, chère Mme d’Artois ! Et bonne nuit, à vous aussi, répondit Magdalena, d’une voix remplie de sommeil.

IV

TEMPÊTE ET ENTÊTE

Le pressentiment de Magdalena n’en était pas un réellement, car on n’eut pu rêver une vie plus paisible, plus heureuse, que celle que l’on mena, à L’Aire, tout cet été-là.

Disons, d’abord, qu’on n’avait pas voulu entendre parler du départ de Thaïs, au bout d’une semaine. La chaleur était intolérable, durant ce mois de juin et Mme de St.-Georges serait mieux, elle le comprenait bien, à la Pointe Saint-André qu’à la ville. Sans doute, durant le jour, la chaleur était grande, même à la Pointe, et on devait s’enfermer dans la maison, dont les vastes pièces étaient toujours fraîches. Mais aussitôt le soleil couché, il s’élevait une petite brise rafraîchissante et alors, on partait en excursion sur L’Aiglon et on passait des heures et des heures à naviguer sur le fleuve.

Ce ne fut que dans la première semaine de juillet que Mme de St.-Georges quitta ses amis. Claude et Magdalena allèrent la reconduire jusqu’à Québec, où ils passèrent quelques jours ensuite, à courir les magasins et à s’amuser.

Les mois de juillet et août furent plus agréables, car, à part quelques jours d’intense chaleur, la température était devenue plus supportable. Les premiers jours de septembre furent splendides, mais vers le milieu de ce mois, le temps changea subitement. Il fit réellement froid et on dut allumer les feux de cheminée dans presque toutes les pièces de L’Aire. Octobre s’annonça par une tempête de vent, et durant tout le mois, il venta, presque sans répit. Le vent se plaignait, il pleurait, il gémissait, il sifflait, il hurlait autour de la Pointe Saint-André, et c’était on ne peut plus lugubre.

Malheureusement, Magdalena avait une horrible peur du vent ; elle avait hérité de cette peur de sa mère, disait-elle. Cela n’était pas sans inquiéter beaucoup Claude. Il voyait,