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sister à votre mariage, à Marielle et à vous, l’été prochain ; promettez de nous attendre !

— Si vous ne retardez pas trop, chère Mme Brassard, répondit Jean, en riant, nous vous attendrons sûrement… d’autant, que je compte sur M. Brassard pour me servir de père.

— C’est entendu, Bahr ! promit M. Brassard.

Cependant, le Rocher aux Oiseaux ne devait pas être tout à fait isolé durant la saison d’hiver, car, à part du « Manoir-Roux » et du « Gîte », la « Villa Bianca », demeure de M. Magloire Jambeau, et « Charme Villa », demeure de Maurice Leroy devaient rester ouvertes.

— J’ai décidé de passer l’hiver sur le Rocher, dit, un jour, M. Jambeau à Jean et Maurice. Qu’irais-je faire en ville d’ailleurs, et qui viendrait me tenir compagnie quand je suis malade, là-bas ?… Oui, décidément, je reste sur l’île… Mlle Marielle sera bientôt tout à fait guérie et, vraiment je ne puis me décider de ne plus la revoir cette enfant, que j’aime comme si elle était ma fille.

— Vraiment ! s’était écrié Jean. Vous allez passer l’hiver avec nous M. Jambeau !… Ah ! ce sera un hiver joyeux, car Maurice, lui aussi, va continuer à habiter « Charme Villa ».

— Bien ! Bien ! dit M. Jambeau. À nous quatre ; je veux dire Mlle Marielle, vous, Jean, Maurice et moi, nous trouverons le moyen de nous amuser… j’ai un plan… Nous sommes des gens intellectuels et… Vous verrez ! Vous verrez !… Nous allons être heureux comme des rois sur ce rocher perdu… oui, comme des rois… et c’est Mlle Marielle qui sera la « Reine du Rocher ».

Et ce bon M. Jambeau jouissait d’avance du bonheur qu’il rêvait.

Le dernier bateau de la saison transporta sur le Rocher aux Oiseaux, à l’adresse de Maurice Leroy, d’abord, un monceau de musique en feuilles pour violon et piano, car Maurice se proposait de se perfectionner dans l’étude du violon durant les longues soirées d’hiver. Le bateau transporta aussi trois paires de patins, trois paires de raquettes et deux traîneaux de luxe, car Maurice se disait que lui, Jean et Marielle prendraient beaucoup d’exercices dehors ; de là ces patins, raquettes et traîneaux.

M. Jambeau reçut, lui aussi, par le dernier bateau, des colis mystérieux et fort lourds, qui durent être transportés à la « Villa Bianca » par eau. Il ne souffla mot de la nature de ces colis ; tout ce qu’on sut, c’est que Firmin dut travailler ferme pendant deux ou trois jours pour mettre en place ces objets lourds, tandis que son maître se frottait les mains d’un air satisfait.

Par le dernier bateau, Jean avait fait venir des livres traitant de l’Architecture ; il se proposait d’étudier cette profession durant ses moments de loisir. Le magasin ne le retiendrait plus captif ; il ne serait ouvert que deux jours par semaine : le mercredi et le samedi. Il aurait donc le temps de se livrer à l’étude de l’Architecture, qu’il aimait passionnément. Jean allait aussi, durant l’hiver, tracer les plans de sa future demeure, qu’il allait nommer la « Villa Marielle ».

On ne s’ennuierait pas sur le Rocher aux Oiseaux durant la froide saison !

Marielle était revenue complètement à la santé : souvent, elle se rendait à la « Villa Bianca » tenir compagnie à M. Jambeau, surtout les jours où celui-ci était un peu souffrant. Presque chaque jour, Jean avait le plaisir de voir passer sa bien-aimée, en voiture. Max, qui n’était plus obligé de se tenir au magasin tous les jours, était devenu le cocher de la jeune fille ; c’est lui qui conduisait, les chèvres, ou bien, assis gravement sur le siège de derrière, les bras croisés, il accompagnait toujours Marielle maintenant.

Tout allait bien, au « Manoir-Roux », où Jean était bien accueilli, du moins par Pierre Dupas. Mme Dupas, dont la santé était chancelante, se tenait presque continuellement dans sa chambre. Louise Vallier… eh ! bien, on ne s’occupait pas d’elle ; voilà tout.

Bref, tout annonçait un hiver agréable sur l’île. Depuis un mois, le bateau était retourné à son port d’attache et les habitants du Rocher aux Oiseaux n’avaient plus aucune communication avec le reste de l’univers. Mais, que leur importait !

On était au jeudi. Jean et Maurice se dirigeaient vers la « Villa Bianca », invités tout spécialement par M. Jambeau :


« Il est temps que je vous fasse connaître mes plans, avait écrit M. Jambeau aux deux jeunes gens ; venez donc souper et veiller avec moi, ce soir, je vous attends.

MAGLOIRE JAMBEAU,
« Villa Bianca », Rocher aux Oiseaux. »


Et sur cette invitation, nos deux jeunes amis se rendaient à la villa. En arrivant, leur surprise et leur joie furent grandes d’apercevoir Marielle. Marielle, de son côté, fut surprise et heureuse d’apercevoir son fiancé et Maurice. Ce bon monsieur Jambeau ; il prenait toujours plaisir à causer d’agréables surprises, vraiment !

Après le souper, M. Jambeau fit ouvrir la porte d’une chambre qui avait toujours été fermée, jusque-là, et un cri d’étonnement s’échappa de toutes les bouches ; car trois pans des murs de cette pièce étaient munis de tablettes, sur lesquels se voyaient des livres. Une splendide bibliothèque vraiment que celle de M. Jambeau ! Marielle, Jean et Maurice, qui, tous trois, aimaient la lecture à la folie, étaient saisis d’admiration.

— Hein ! disait M. Jambeau, fier, à coup sûr, du bonheur de tous. Qu’en pensez-vous de ma bibliothèque ?… Et, voyez donc, derrière vous, Mlle Marielle !… Que pensez-vous de ce petit meuble ?

Ce « petit meuble » c’était un splendide piano carré.

— Oh ! oh ! s’écria Marielle. Le magnifique instrument… Vous êtes donc musicien, M. Jambeau ?

— Non, Mlle Marielle, je ne suis pas musicien ; mais j’aime la musique et le chant à la folie, et j’espère bien que vous allez me régaler un peu, ce soir. Maurice, ajouta-t-il, avez-vous apporté votre violon ?

— Oui, M. Jambeau, je l’ai apporté.

Mlle Marielle, reprit M. Jambeau, ce piano vous appartient ; ce sera mon cadeau de noces, quand vous et Jean vous marierez, l’été prochain… L’acceptez-vous ?