Page:Bourgeois - Le spectre du ravin, 1924.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
LE SPECTRE DU RAVIN

Jean eut un grand succès et M. Jambeau proposa que cette chanson : « La Reine du Rocher » devint le chant ralliement du Cercle Littéraire et Musical, proposition qui fut adoptée à l’unanimité.

Maurice lut quelques pages de voyages et d’aventures, il y eut encore de la musique, puis on se sépara en chantant :

— Bonsoir, mes amis, bonsoir !
Quand on est si bien ensemble,
Devrait-on jamais se quitter ?

Combien agréable le temps avait passé ! Il est vrai que Louise Vallier avait baillé « à se décrocher les mâchoires » disait Maurice ; mais cela n’avait pas d’importance et n’intéressait personne.

Le jeudi suivant, vers la fin de la veillée, Jean se leva et dit :

— Je propose que notre charmante Présidente nous chante, à son tour, une de ses compositions, paroles et musique.

Des applaudissements accueillirent cette proposition de Jean, et Marielle sans trop se faire prier, se mit au piano.

— Je vais vous chanter une chanson que j’ai composée la semaine dernière, dit-elle, et que j’ai intitulée : « La Prière des Fleurs ».

— Vraiment, Marielle, s’écria Louise Vallier, je ne savais pas que vous composiez des chansons, paroles et musique !… Je vous avertis que, pour ma part, je suis très difficile et que, si votre chanson ne vaut rien…

— Ma chanson vaut ce qu’elle vaut, Mlle Vallier, répondit Marielle, en souriant. Si vous ne l’aimez pas, peut-être ces messieurs se montreront-ils moins difficiles que vous.

— Le titre de votre chanson est beau, Marielle ; je sais d’avance que ce sera délicat et joli, dit M. Jambeau. Nous avons bien hâte d’entendre : « La Prière des Fleurs ».

— Oui, nous avons bien hâte ! dirent Jean et Maurice.

Marielle, après avoir joué une ritournelle, chanta :


LA PRIÈRE DES FLEURS

Sur la verte terrasse,
Les fleurs, en quantité,
Se courbent, avec grâce,
À la brise d’été.
On voit s’incliner jusqu’à terre
Les lys adorateurs ;
Car, c’est l’heure de la prière,
La prière des fleurs.

II

Sur la plaine fleurie,
On croit ouïr un son :
Chaque fleur balbutie,
Pieuse, une oraison.
Les roses penchent jusqu’à terre
Leurs fronts adorateurs ;
Car, c’est l’heure de la prière.
La prière des fleurs.

III

C’est aussi l’églantine,
Le jasmin, le muguet
Qui, tour à tour, s’inclinent
Avec un grand respect.
Alors, tendrement, à la terre
Sourit le Créateur ;
Car, il accueille la prière,
La prière des fleurs.


Le succès qu’eut Marielle est impossible à décrire. M. Jambeau et Jean pleuraient, tandis que Maurice se mordait les lèvres, pour ne pas pleurer, lui aussi.

— Chère Marielle ! dit Jean. Cette chanson que vous venez de chanter et que vous avez composée, paroles et musique, est si touchante et si belle ! N’est-ce pas que vous nous la chanterez encore ?

— Mais, oui, Jean, répondit Marielle en souriant. Pas ce soir ; mais je vous la chanterai certainement, quand vous exprimerez le désir de l’entendre.

— Dans quel livre avez-vous pris cette chanson, Marielle ? demanda Louise Vallier, avec son rire sot. Vous ne me ferez pas croire que c’est vous qui avez composé cela : voilà !

— Comme vous voudrez, Mlle Vallier ! répondit Marielle. Puis, riant d’un bon cœur, elle ajouta : Vous venez de me faire un grand compliment, sans le vouloir.

— En effet ! s’écrièrent-ils tous, en souriant.

— Sans doute, l’intention de Mlle Vallier était véritablement de vous faire un compliment mérité, Marielle, dit Jean. Dans tous les cas, je vous félicite, ma chérie ; c’est si joli et si touchant « La Prière des Fleurs » !

M. Jambeau avait eu vraiment une belle idée en fondant ces Soirées Littéraires et Musicales, et le temps s’écoulait bien vite et bien agréablement sur le Rocher aux Oiseaux.


CHAPITRE XXVII

INTRIGUES


Quand la neige se mit à tomber et que le golfe Saint-Laurent fut recouvert de glace, aux environs de l’île, Maurice produisit ses patins, ses raquettes et ses traîneaux, et ce furent des après-midis entiers passés à s’amuser. Louise Vallier s’étant fait venir des patins et des raquettes, de Québec, en vue du long hiver sur le Rocher aux Oiseaux, fut, nécessairement, de la partie.

Jean n’aimait guère Louise Vallier ; mais Maurice la détestait tellement que ce n’est qu’au prix d’efforts surhumains qu’il parvenait à lui montrer la plus simple courtoisie. Même, Jean avait fait à son ami des observations à ce sujet :

— Mon pauvre Maurice, lui avait-il dit, puisque nous sommes obligés de subir la présence de Mlle Vallier, tâchez d’être un peu plus courtois envers elle !

— Écoutez, Jean, avait répondu Maurice, Mlle Vallier n’a que faire de mes galanteries ; elle s’est toquée de vous, mon ami.

— De moi ! s’écria Jean, en éclatant de rire. Puis, gravement, il reprit : J’espère que vous vous trompez, Leroy ! D’ailleurs, Mlle Vallier sait que je suis le fiancé de Mlle Marielle et…

— Si vous croyez que cette certitude pèse d’un grand poids à cette demoiselle, Bahr ! dit Maurice en souriant. Je l’ai observée Mlle Vallier et j’ai constaté qu’elle se sert de mille petites ruses pour vous éloigner de Mlle Ma-