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LE SPECTRE DU RAVIN

rielle et vous attirer à ses côtés : ses patins sont toujours débouclés, ses raquettes plantent dans la neige, elle est timide, en traîneau, si timide qu’il n’y a qu’à vous, Jean, qu’elle ose se confier.

— Sûrement ! Sûrement, vous vous trompez, Leroy ! s’écria Jean.

— Non, je ne me trompe pas, Bahr ! Cette jeune fille vous courtise, littéralement, et… Mais, non, je me tais ; j’en ai peut-être trop dit déjà, et…

— Parlez, au contraire, mon cher ami ! C’est très amusant de vous entendre discourir, fit Jean, en riant d’un bon cœur.

— Eh ! bien, j’allais dire que Mlle Marielle n’apprécie pas les minauderies de Mlle Vallier… J’ai vu Mlle Marielle vous regarder d’un air singulier, hier, quand, deux fois de suite, vous avez dû boucler les patins de Mlle Vallier.

— Vous devez vous tromper, Maurice ! Marielle a, en moi, une confiance illimitée, je sais, et… Mais, encore une fois, Leroy, essayez donc d’être plus aimable pour Mlle Vallier.

— Je vais essayer, répondit Maurice, d’un air résigné, qui fit beaucoup rire Jean.

Maurice Leroy ne se trompait pas pourtant, en affirmant que Louise Vallier avait jeté sur Jean son dévolu. Il ne se trompait pas non plus en disant que Marielle commençait à prendre ombrage de ce qui se passait. Marielle avait confiance en son fiancé, sans doute ; mais elle se défiait de Louise Vallier… non sans raison. Cette fille avait résolu de séparer les fiancés et elle ne reculerait devant rien pour cela.

On était au commencement du mois de février, quand, un matin, Louise Vallier entra dans la chambre de Marielle et lui dit :

— Je suis sortie, tout à l’heure et j’ai rencontré M. Bahr. Il m’a demandé de me charger d’une commission pour vous ; il m’a priée de vous dire qu’il ne pourra pas venir patiner cet après-midi… Il n’a pas donné de raisons.

— ! Ah ! dit, seulement, Marielle.

— Viendrez-vous patiner quand même, Marielle ? demanda Louise Vallier, avec un peu d’anxiété dans la voix.

— Non, je n’irai pas, puisque Jean n’y sera pas.

— Eh ! bien, comme ça ne me fait ni chaud ni froid, à moi, que M. Bahr y soit ou n’y soit pas, j’irai patiner, comme de coutume, dit Louise Vallier, parvenant, très imparfaitement, à cacher le soulagement que lui causait la décision de Marielle.

— Quel succès j’ai eu ! se disait-elle, en quittant la chambre de Marielle. Si le reste de mon plan réussit, tout ira bien… Je ne puis me le cacher à moi-même, je l’aime le fiancé de Marielle et… Nous verrons ! Nous verrons !

Quand Louise Vallier arriva à l’endroit où l’on se rencontrait, chaque jour, Jean était déjà rendu. Il accourut au-devant de la jeune fille et demanda :

— Marielle ?… Ne vous accompagne-t-elle pas !

— Eh ! bien, non, M. Bahr. Marielle ne m’accompagne pas.

— Serait-elle malade ? demanda Jean.

— Pas du tout, M. Bahr ; elle n’a pas voulu venir, voilà tout… Marielle est un tant soit peu capricieuse, voyez-vous ! Je lui ai dit pourtant qu’elle allait beaucoup vous désappointer en ne venant pas ; mais elle a seulement haussé les épaules, d’un air indifférent.

— Vraiment ! s’écria Jean, Mais… je n’y comprends rien !… Marielle… L’aurais-je. froissée, sans le vouloir ?

— Je ne le crois pas… Je le répète, M. Bahr, un caprice de Marielle… Patinez-vous, cet après-midi ?… Ah ! oui, je vois que vous avez vos patins. Si vous voulez être assez bon de m’aider à mettre les miens… Où est M. Leroy ?

M. Leroy est auprès de M. Jambeau, qui est un peu souffrant aujourd’hui.

— Eh ! bien, patinons, vous et moi, M. Bahr, puisque nous sommes les seuls au rendez-vous !

Jean ne pouvait refuser, sans manquer aux éléments de la plus simple politesse, et bientôt, lui et Louise Vallier patinaient ensemble. Louise patinait à la perfection ; Jean, lui aussi, était bon patineur et, malgré la peine qu’il ressentait à cause du « caprice » de Marielle, il s’intéressa à l’exercice qu’il prenait.

Louise Vallier, sans en avoir l’air, entraîna Jean jusqu’à un endroit d’où elle et Jean pouvaient être vus, sur la glace, du « Manoir-Roux ».

— Si Marielle est à sa fenêtre, comme je n’en doute pas, se disait-elle, que doit-elle penser en voyant son fiancé patiner avec moi ?… Ça va avoir l’air d’un rendez-vous entre lui et moi ! Et satisfaite que son intrigue eut un si beau succès, Louise Vallier souriait méchamment.

Vers les quatre heures, Louise se décida de retourner chez elle. Mais, voici une complication : Jean résolut de se rendre, lui aussi au « Manoir-Roux », afin de voir Marielle et d’avoir une explication, si possible. Louise Vallier se sentait perdue.

— Pourtant, se disait-elle, je vais essayer d’empêcher une rencontre entre ces deux-là !

On entra au « Manoir-Roux » par la porte, de la cuisine, et Jean pria Louise Vallier d’aller dire à Marielle qu’il désirait beaucoup la voir et lui parler.

C’est à pas de loup que Louise se rendit à l’étage supérieur, car elle voulait s’assurer de là où était Marielle. Celle-ci n’était pas dans sa chambre, et bientôt, Louise Vallier entendit le murmure d’une voix venant de la chambre de sa mère. La porte étant entr’ouverte, Louise vit Mme Dupas étendue sur un canapé et Marielle lui faisant la lecture.

Ni Mme Dupas, ni Marielle n’eut connaissance de la présence d’une troisième personne, et Louise, redescendant l’escalier, s’en vint trouver Jean qui impatiemment, l’attendait dans la cuisine.

Jean, entendant revenir Louise Vallier ; crut que Marielle l’accompagnait et son visage s’illumina de joie ; mais quand il aperçut Louise seule, son visage se rembrunit aussitôt.

— Marielle ? demanda-t-il, encore, cette fois.

— Marielle ne veut pas descendre, M. Bahr, répondit Louise.

— Marielle ne veut pas descendre, dites-vous, Mlle Vallier ?

— Ô M. Bahr, dit Louise, combien il m’en coûte de vous faire tant de peine ! Mais Marielle a refusé de descendre, prétendant qu’elle était trop occupée… Or, elle était à lire et…

« Cette fois, je ne mens pas, se disait-elle ; Marielle était vraiment à lire. »