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Page:Bourgeois - Le spectre du ravin, 1924.djvu/63

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— Louise est folle, dit tranquillement Mme Dupas.

— C’est entendu ! répondit Mme Brassard. Mais Marielle a tout son esprit, et elle aime son petit frère à la folie.

— Marielle hait mon enfant ; elle désire sa mort, redit, avec une effrayante conviction Mme Brassard.

Sans trop en comprendre la raison, Mme Brassard sentit ses cheveux se dresser sur sa tête, à la répétition de cette phrase, et son cœur fut étreint soudain d’un terrible pressentiment.

— Taisez-vous ! cria-t-elle, en frappant le plancher du pied. Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous dites, dans l’état d’énervement où vous êtes. Taisez-vous ! car on va vous croire aussi folle que votre fille Louise !

Malgré que cela lui répugnât beaucoup, Mme Brassard resta avec Mme Dupas jusqu’au retour de Pierre Dupas, emmenant le médecin, puis elle alla trouver Marielle, dans la cuisine. Mais à peine fut-elle entrée dans cette pièce que Pierre Dupas y entra à son tour.

— Marielle, dit-il sévèrement, comment se fait-il que tu ne sois pas auprès de ta belle-mère et de ton petit frère ?… Es-tu tellement dépourvue de cœur que…

— Pardon, M. Dupas, interrompit Mme Brassard ; mais, Mme Dupas a, devant moi, chassé Marielle de sa chambre.

— Chassé… murmura Pierre Dupas.

— Oui, chassé… après l’avoir injuriée… Ne pleurez pas, Marielle, dit Mme Brassard. Oui, M. Dupas, il en est ainsi !

— Ma femme… elle est si éprouvée !… murmura Pierre Dupas.

— Sans doute, je comprends cela… Ce que je ne comprends pas, par exemple, c’est qu’elle s’en prenne à Marielle…

— Viens avec moi, Marielle, dit Pierre Dupas. Veuillez venir, vous aussi Mme Brassard ; le médecin est ici et nous allons l’accompagner, afin de l’entendre diagnostiquer la maladie de notre pauvre petit Guy.

— Certainement ; M. Dupas, je vais vous suivre… Et, M. Dupas, me permettriez-vous d’emmener Marielle chez moi, pour deux ou trois jours… pour jusqu’au retour de M. Jean de l’île Aubert ?

— Emmener Marielle ! s’écria Pierre Dupas. Impossible, Madame ! Sa place est ici, quand son petit frère est si malade… D’ailleurs, Marielle ne voudrait pas quitter le « Manoir-Roux », sous les circonstances, j’en suis sûr !

— Ô Père, dit Marielle, étreinte de je ne sais quel pressentiment, laissez-moi partir avec Mme Brassard ! Mme Dupas ne veut pas tolérer ma présence auprès de Bébé Guy !… J’ai… j’ai peur ici !… Et elle frissonna tout à coup, comme sous un souffle glacé.

— Marielle ! tonna Pierre Dupas. Je le sais maintenant, tu es « totalement » dépourvue de cœur ! Je te défends de quitter cette maison, entends-tu ? Qu’il n’en soit plus question !

Louise Vallier s’étant décidée d’abandonner son livre, monta, elle aussi dans la chambre de sa mère, à la suite de Pierre Dupas, Mme Brassard et Marielle, puis Nounou, ayant quitté sa cuisine, y entra à son tour.

Le médecin, homme d’une cinquantaine d’années, eut vite fait de diagnostiquer la maladie de Bébé Guy. S’étant penché sur l’enfant et ayant écouté sa respiration embarrassée pendant quelques secondes, le Docteur Jasmin leva la tête et dit :

— C’est le croup diphtérique !


CHAPITRE IX

L’ACCUSATION


« Le croup diphtérique ». À ces mots, Mme Dupas jeta un grand cri, et se précipitant vers le médecin, elle dit :

— Docteur ! Docteur ! Sûrement, vous vous trompez !… Le croup diphtérique ! Ô ciel ! Il va mourir mon bébé chéri !

— Madame, répondit le médecin, je ne puis vous cacher la gravité de la maladie de votre enfant ; de fait, bien peu en reviennent… Mais, je ferai l’impossible pour le sauver… Dieu fera le reste ; Il tient nos vies entre ses mains.

— Ô mon Dieu, sauvez mon enfant ! cria Mme Dupas. Mon Dieu ! Mon Dieu, ne m’enlevez pas cet ange que vous m’avez donné !… Puis, apercevant Marielle elle dit : « Marielle, que faites-vous ici ? Ne vous ai-je pas défendu d’approcher du berceau de mon enfant ?

— Ma chérie, dit Pierre Dupas à sa femme, c’est moi qui ai fait monter Marielle ici… Il me semblait que…

— Comment, Pierre, tu as fait monter Marielle ici, toi, quand tu sais si bien combien elle hait notre fils, son petit frère, qui lui a enlevé, en même temps que l’affection de son père, la moitié de l’héritage de sa tante…

— Ma pauvre femme, je t’en prie, tais-toi ! implora Pierre Dupas.

— Eh ! bien, non, je ne me tairai pas ! sanglota Mme Dupas, folle, assurément, pour le moment, du moins, Docteur, dit-elle, en s’adressant au médecin qui, impassible, en apparence du moins, assistait à cette scène, cette jeune fille est la fille de mon mari, par son premier mariage. Elle déteste mon enfant, mon petit Guy, son frère et…

— Cette femme ment ! intervint ici Mme Brassard, en désignant Mme Dupas. Mlle Marielle, Docteur Jasmin, adore son petit frère ; tous, sur le Rocher vous le diront…

Le médecin leva la main en signe de protestation.

— Cela ne me regarde nullement, Madame, répondit-il à Mme Brassard. Je suis ici pour soigner cet enfant, ajouta-t-il, en désignant Bébé Guy, et n’ai rien à voir aux affaires de la famille.

Retirant deux fioles de son porte-manteau, le médecin reprit :

— Par les détails que m’a donnés M. Dupas, j’ai compris de quoi souffrait l’enfant ; j’ai donc pu apporter les remèdes voulus.

Prenant ensuite une des fioles, le médecin en enleva le bouchon, puis il versa dix gouttes du liquide contenu dans la fiole, et qui était de couleur brune, dans une cuillère à thé, après quoi il versa dans un verre un peu d’eau, puis y ayant ajouté les remèdes, il parvint, non sans quelques difficultés, à faire avaler toute la potion à l’enfant. Prenant ensuite l’autre fiole, le Docteur Jasmin versa le quart de son contenu sur une éponge et il frotta de cette lotion la poitrine et la gorge du bébé. Presqu’aus-