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— Oui, M. Paris, Bébé Guy est mort !

— Est-ce aussi le cas que Mlle Dupas…

— Oui, c’est aussi le cas que Mlle Dupas est accusée d’avoir empoisonné son petit frère ; elle vient d’être arrêtée par le policier Rust.

— Grand Dieu ! s’exclama Charles Paris. Puis il s’enfuit, comme un fou.

Hein ! se disait Maurice, en regardant s’enfuir Charles Paris. Qui eut cru que ce garçon possédât tant de cœur ?… Je ne jugerai plus jamais par les apparences dorénavant.

M. Jambeau, averti par Maurice, vint voir Marielle. Pauvre M. Jambeau ! Il pleurait comme un enfant… Marielle, cette pure et noble jeune fille, accusée de meurtre !…

— M. Jambeau, lui dit Marielle, dans le cours de leur conversation, mon père m’a maudite ! et elle se mit à pleurer.

— Oui ? fit M. Jambeau, de l’air le plus ordinaire du monde. Ça n’a pas d’importance, Marielle.

— Mais, M. Jambeau, ne dit-on pas que la malédiction d’un père…

— Tut ! Tut ! Sornettes que tout cela ! Vous connaissez peut-être le proverbe : « Crachez en l’air : ça vous retombe sur le nez ».

Mais M. Rust venait de frapper à la porte du salon : le temps alloué pour l’entrevue était écoulé.

Vers les sept heures, Nounou vint apporter le souper à Marielle.

— Laissez-moi entrer, M. Rust ! (Nounou prononçait « Ruste ») Il faut que je la voie Mlle Marielle !

Mlle  Marielle, dit Nounou, à quelle heure partons-nous pour Québec, demain matin ; le savez-vous ?… Je pars avec vous, vous le pensez bien !

— Mais, Nounou, que feras-tu dans la ville de Québec ? De quoi vivras-tu ? On ne te laissera pas entrer dans la prison avec moi, et…

— J’ai de petites économies, et je trouverai bien le moyen de vivre, Mlle Marielle. Je l’ai promis à votre mère et jamais je ne vous abandonnerai !

— Nounou, dit Marielle, si tu pouvais m’apporter le petit coffret qui est dans ma chambre, celui qui appartenait à ma mère, tu sais ; il y a, dans ce coffret, beaucoup d’argent, mille dollars.

— Je vous apporterai le coffret, Mlle Marielle, je vous le promets !

— Avec cet argent, tu pourras vivre confortablement à Québec, Nounou.

— Ah ! cet argent me permettra de vous procurer bien des petites douceurs… là-bas, chère Mlle Marielle ! s’écria Nounou, en pleurant.

Le coffret fut en effet, remis à Marielle par le policier Rust, puis celui-ci tourna la clef dans la serrure du salon, il mit cette clef dans sa poche et plus personne ne fut admis, ce soir-là, dans la prison provisoire de la jeune accusée.

La nuit vint. On n’entendait au « Manoir-Roux » que le pas régulier du policier, montant consciencieusement la garde devant la porte du salon. Vers les deux heures du matin, M. Rust ouvrit la porte de la prison de Marielle et il vit la jeune fille endormie profondément, couchée sur un canapé.

M. Rust sortit du salon, dont il referma la porte à clef et il continua à faire la garde, jusqu’à sept heures du matin, heure à laquelle Nounou vint apporter le déjeuner de Marielle.

— Je lui porterai le cabaret moi-même, dit M. Rust à Nounou.

Il entra dans le salon, prenant la précaution de fermer la porte à clef derrière lui, et il dit :

Mlle  Dupas, je vous apporte votre déjeuner.

Ne recevant pas de réponse, il s’approcha du canapé afin de réveiller Marielle ; mais elle n’était plus couchée sur ce meuble. Le policier jeta un regard autour de la pièce, mais il ne vit pas la prisonnière…

Sortant sur le palier, M. Rust appela Nounou, et quand celle-ci eut franchi le seuil du salon, il dit :

— Nounou, Mlle Dupas n’est plus ici.

— Vous dites ! s’exclama Nounou.

— Je dis que Mlle Marielle a mystérieusement disparu… Cherchez-la vous-même… Elle n’est pas ici… Pourtant, quand, vers les deux heures du matin, je suis entré dans cette chambre, elle dormait paisiblement, couchée sur ce canapé.

M. Rust essaya la fenêtre ; mais elle était clouée solidement à l’extérieur. M. Rust sonda les murs et les plafonds ; mais il n’y avait là aucun secret.

Marielle avait disparu, sans laisser de trace… Et c’était la plus étrange disparition !…

Nounou seule remarqua une chose : le petit coffret, lui aussi, avait disparu…


CHAPITRE XI

FAITS ÉTRANGES


Jean Bahr était revenu sur le Rocher aux Oiseaux, accompagné d’un vieux prêtre, qui devait célébrer son mariage avec Marielle. Hélas ! Marielle était disparue, sous d’étranges circonstances, et la tâche d’apprendre à Jean les tragiques événements qui s’étaient passés sur l’île, avait été laissée à ce pauvre Maurice. Celui-ci attendait une occasion pour parler. L’occasion se présenta plus vite qu’il l’espérait… qu’il le craignait plutôt. À peine furent-il parvenus au « Gîte », que Léo partit à la course, dans la direction du « Manoir-Roux » ; (inutile de dire que Jean avait emmené son chien avec lui à l’île Aubert).

— Léo ! Léo ! appela Jean.

Mais le chien fit la sourde oreille, ce que voyant, Jean dit à Maurice, en souriant :

— Léo s’en va au « Manoir-Roux » voir Marielle. C’est singulier comme ce chien s’est ennuyé d’elle. Leroy… Il a agi d’une manière étrange aussi, hier… Imaginez-vous que, hier après-midi, vers les trois heures, Léo s’est mis à hurler de la plus lamentable façon et j’ai été obligé de le battre pour le faire taire. Il n’a fait que geindre pendant toute la traversée ; c’est évident, il s’est ennuyé de Marielle, ajouta-t-il, en riant.

On achevait de dîner quand Léo revint au « Gîte » l’air tout piteux. Il alla se coucher sous une chaise, puis il se mit à se plaindre tout bas.

— Qu’a donc Léo ? dit Jean. Voyez donc s’il a l’air piteux, Maurice ! Viens ici, Léo ! appela-t-il.

Le chien vint, tristement, à l’appel de son maître.