Page:Bourgeois - Le spectre du ravin, 1924.djvu/83

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pas… Je tournai la poignée et j’entrai dans la salle… la salle était déserte… Mais de l’étage supérieur m’arrivaient des voix… et des sanglots… Je montai l’escalier et j’aperçus, dans la chambre qui, autrefois appartenait à Marielle, un grand nombre de personnes… Je vis une femme, tenant dans ses bras un enfant mort… Je vis M. Dupas, le visage défait, vieilli de dix ans, qui se promenait, de long en large, dans la chambre… Je vis aussi un homme qui essayait d’enlever à la femme le cadavre de son enfant… Assise sur un canapé, je vis Marielle, entourée de dames qui pleuraient… J’aperçus M. Leroy, à genoux devant Marielle ; lui aussi pleurait…

« Personne ne me vit, moi, excepté le Docteur Jasmin (Marielle m’a dit son nom) mais comme il était étranger sur le Rocher aux Oiseaux, il dut me prendre pour une personne habitant l’île… Le médecin parlait : il accusait Marielle du plus atroce des crimes… Marielle, ensuite, fut arrêtée, et j’appris que le salon du « Manoir-Roux » lui servirait de prison provisoire…

« À la course, je descendis dans le salon. À la hâte, je m’emparai d’une bougie que je pris sur la corniche de la cheminée. Retournant dans la salle d’entrée, j’y pris un paquet d’allumettes, puis je revins au salon. Soulevant la pierre du foyer, je me laissai glisser jusqu’au bas du rocher, après avoir replacé la pierre… Puis, j’attendis…

« Il pouvait être deux heures et demie du matin, reprit Ylonka, quand je me décidai enfin d’aller délivrer Marielle. Soulevant, avec d’infinies précautions, la pierre du foyer, je pénétrai dans le salon… Marielle, couchée sur le canapé, dormait profondément… Je posai ma main sur son front pour l’éveiller… Marielle, en m’apercevant, faillit crier… Je l’entendis murmure : « Ylonka ! Le Spectre du ravin ! » Je l’eus vite rassurée cependant, et je lui fis signe de me suivre…

— Nous prîmes, toutes deux, le chemin que vous avez pris, Messieurs, acheva Ylonka, et nous arrivâmes, sans accident, à cette grotte, où Marielle m’a tenue compagnie depuis.

Mlle Ylonka, dit Maurice, une rumeur a couru sur le Rocher aux Oiseaux, après l’étrange disparition de Mlle Marielle… On disait qu’un ange était venue la délivrer… La rumeur n’avait pas tort !

— Jean, dit, soudain, Marielle, d’ici, Ylonka et moi nous avons entendu sonner les glas de Bébé Guy… Nous avons, aussi, vu brûler les villas… Un autre jour, nous avons entendu tinter un autre glas… Quelqu’un est donc mort, après Bébé Guy, sur l’île ?

— Oui, Marielle… ce glas que vous avez entendu, c’était celui de… Mlle Vallier.

— Louise Vallier ! s’écria Marielle. Mais, de quoi est-elle morte la pauvre fille ? Elle était en parfaite santé, la dernière fois que je l’ai vue !

Mlle Vallier s’est tuée accidentellement, répondit Jean, en échangeant un regard avec Maurice. Puis il raconta cette nouvelle tragédie à la jeune fille.

— Cette pauvre Mme Dupas a été bien éprouvée ! dit Marielle.

— Sans doute, ma chérie, répondit Jean. Cependant… la mort de Mlle Vallier a soulagé sa mère, comme elle nous a soulagés tous… Marielle, ajouta-t-il, c’est Mlle Vallier qui avait empoisonné son petit frère ; c’est elle qui avait changé le contenu des fioles, et elle s’était arrangée pour que vous paraissiez coupable de ce terrible et lâche crime.

— Oui, c’était elle, la misérable ! s’écria Maurice.

— Oh ne parlez pas ainsi, M. Maurice implora Ylonka. La pauvre fille est morte !

— C’est vrai, Mlle Ylonka ! répondit humblement Maurice.

— Mais, comment a-t-on découvert que Louise Vallier avait commis le crime ? demanda Marielle.

Jean raconta alors à Marielle comment lui, Maurice, Mlle Solange et Nounou avaient entendu une conversation entre Louise Vallier et Charles Paris. Il parla ensuite des confessions signées par ces deux misérables.

— Ainsi, dit Marielle, je suis libre de m’en aller vivre au milieu de ceux qui me sont chers, sans crainte de…

Mlle Marielle, interrompit Maurice, le soir même des funérailles de Mlle Vallier, Jean convoqua, dans son magasin, tous les habitants de l’île et il a procédé à votre justification, preuves en mains…

— Vraiment, Jean ! Vous avez fait cela !

— Sans doute, ma bien-aimée, répondit Jean. Tous partaient, le lendemain, et je ne voulais pas qu’il subsistât l’ombre d’un doute vous concernant… Quoique, Marielle, pas une âme sur le Rocher aux Oiseaux ne vous croyait coupable, vous le pensez bien !

— Merci, Jean ! dit Marielle. Et mon père ? Comment est-il ?

— M. et Mme Dupas sont à Montréal, chez Mlle Solange.

— À Montréal ! s’écria Marielle.

— Oui, Marielle. Mme Dupas était, selon le Docteur Le Noir, menacée de folie ou de mort, après les terribles épreuves par lesquelles elle était passée, et le médecin a conseillé à votre père d’emmener sa femme là où elle pourrait avoir des distractions.

— Et Nounou ? demanda Marielle.

— Nounou est restée sur le Rocher, et nous habitons tous le « Manoir-Roux », tous, je veux dire, Maurice, moi, Max, M. Jambeau, son domestique… M. Dupas avant de partir, avait exprimé le désir que nous occupions sa maison, vous savez, Marielle.

— Cher bon M. Jambeau ! Quel bonheur de le revoir ! s’exclama Marielle.

— Venez, alors, Mesdemoiselles, dit Jean. Partons immédiatement pour le « Manoir-Roux » ! Quel bonheur M. Jambeau et Nounou vont éprouver en vous apercevant ! Allons !

Marielle et Ylonka, accompagnées de Jean, de Maurice et de Max, partirent pour le « Manoir-Roux »…

Elles n’en doutaient pas : l’ère des épreuves était passée pour eux tous !


CHAPITRE XXII

UNE GRAVE DÉCISION


Dans la salle du « Manoir-Roux », Marielle et Ylonka, Jean et Maurice, M. Jambeau, Max,