Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/189

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qu’il ne pouvait ni douter ni croire à moitié. Si Thérèse lui avait menti, pourquoi tout ne mentirait-il point aussi ? Cette idée ne se formulait pas sous une forme abstraite, et il n’y arrivait pas avec l’aide du raisonnement : c’était une façon de sentir qui se substituait à une autre. Il se surprenait, durant cette cruelle période, à douter de Thérèse dans leur passé commun. Il se demandait si sa trahison de Trouville était la première, si elle n’avait pas eu d’autre amant que lui au temps de leur passion la plus enivrée. La perfidie de cette femme lui corrompait jusqu’à ses souvenirs. Elle faisait pire : sous cette influence de misanthropie, il commettait le plus grand des crimes moraux, il doutait de la tendresse de sa mère. Dans cette affection passionnée de Mme Liauran, le malheureux ne voyait plus qu’un égoïsme jaloux. « Si elle m’aimait vraiment, elle ne m’aurait pas appris, » se disait-il, « ce qu’elle m’a appris. » Il se trouvait ainsi dans cet état de cœur auquel le langage populaire a donné le nom si expressif de désenchantement. Il avait fini de voir la beauté de l’âme humaine, et il commençait d’en constater la misère, et toujours il retombait sur cette question comme sur une pointe d’épée : « Mais pourquoi ? pourquoi ? » Et il creusait le caractère de Thérèse sans aboutir à une réponse. Autant valait demander