Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/22

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guère permis de dépenser, et, par ce soir du mois de février 1880, il se trouvait dans l’état d’agitation d’un amant qui a vu les yeux de sa maîtresse noyés de larmes sans en savoir le motif.

— « Quel sujet de chagrin peuvent-elles avoir qu’elles ne me disent pas ?… » Cette question passait et repassait dans la tête du général, tandis que sa voiture allait, battue par le vent et fouettée par la pluie. Il faisait un « prussien de temps », pour parler comme le cocher du comte ; mais ce dernier ne songeait même pas à relever la vitre de la portière, par la baie de laquelle des rafales entraient, de cinq minutes en cinq minutes, et toujours il en revenait à sa question ; car ses pauvres amies avaient été mortellement tristes durant la soirée, et le général les voyait toutes les deux en esprit telles que son dernier regard les avait saisies. La mère était assise au coin du feu, dans une bergère, avec ses cheveux tout blancs, son profil demeuré fier et ses yeux étrangement noirs dans un visage ridé de ces longues rides, verticales qui disent la noblesse de la vie. En tout moment la pâleur extraordinaire de son teint, décoloré, comme vidé de sang, révélait les immenses chagrins d’un veuvage qu’aucune distraction n’avait consolé. Mais cette pâleur avait paru