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Page:Bourget - Discours de réception à l’Académie française, 1895.djvu/22

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DISCOURS DE RÉCEPTION

horizon de vallées, et, à l’extrémité, une Italie. C’est la récompense soudaine d’avoir monté bien longtemps. Un hasard très vulgaire, celui d’une visite dans une boutique d’opticien, fut pour Maxime Du Camp ce tournant suprême, aux environs de la quarantième année. Écoutez-le vous narrer l’histoire dans ce ton qu’il adoptera désormais, familier, naturel, presque goguenard et très différent du lyrisme de ses premiers livres. C’est de la causerie, mais très originale, très allante, et relevée d’une sorte de grâce cavalière. C’est lui qui parle : « En mes jours de superbe, au temps de ma jeunesse, j’avais tracé mon portrait :

Je suis né voyageur. Je suis actif et maigre.
J’ai, comme un Bédouin, le pied sec et cambré,
Mes cheveux sont crépus ainsi que ceux d’un nègre
Et par aucun soleil mon œil n’est altéré.

« Le pied n’est plus rapide. La bise d’hiver a soufflé. Elle a apporté la neige et emporté les cheveux. Le soleil s’est vengé de mon impertinence, et il m’a condamné à des lunettes dont le numéro n’est pas mince. J’étais fier de ma vue. Nul mieux que moi n’apercevait le remise d’une compagnie de perdreaux, et je pouvais lire infatigablement. Vers 1862, j’eus mal aux yeux. Je n’épargnai pas les collyres et je n’en souffris pas moins. On me conseilla de consulter un opticien, et, un jour du mois de mai, j’allai chez Secrétan. L’employé me mit un livre sous les yeux, à la distance normale. Je rejetai la tête en arrière. Il me dit : «Ah ! vous jouez du trombone, il faut