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Page:Bourget - Discours de réception à l’Académie française, 1895.djvu/28

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DISCOURS DE RÉCEPTION

Et je ne puis m’arrêter… » Vous attendez un commentaire ? Mais non. Le voyageur rend aussitôt la place à l’infatigable et scrupuleux statisticien. Il vous a dit dans son premier volume la circulation de Paris, les voitures, les chemins de fer, la Seine. Dans un autre, il vous dit comment Paris se sustente, dans un troisième comment Paris se protège, et l’appareil de la sûreté publique en lutte avec l’armée du crime. Dans un quatrième, il vous montre comment Paris se soigne, et ses hôpitaux, — dans un cinquième, comment Paris s’instruit, — dans un sixième, comment Paris s’enrichit. Pas une minute, à parcourir à sa suite le colossal panorama, l’intérêt ne languit, tant les scènes qui se développent ont été regardées par le peintre avec attention, tant elles sont traduites avec fidélité. Vous devinez que chaque ligne de ces six volumes, dont le moins compact a cinq cents pages, a été vérifiée d’après nature. Il le dit dans ses Souvenirs, avec la simplicité allègre du bûcheron content d’avoir prouvé sa force en coupant sa forêt : « Rien ne serait plus curieux à écrire que l’histoire de ce livre sur Paris, qui m’entraîna à faire tous les métiers. J’ai vécu à la Poste aux lettres, j’ai été presque employé à la Banque de France ; j’ai abattu des bœufs. Je me suis assis dans la cellule des détenus. J’ai accompagné les condamnés à mort. J’ai dormi sur le lit des hôpitaux. Je suis monté sur la locomotive des trains de grande vitesse, je me suis interné dans un asile d’aliénés. Je crois n’avoir reculé devant aucune fatigue, devant aucune enquête, devant aucun dégoût… »