Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

devant son esprit, qui la fit se dresser toute droite. Ses petites mains fines essuyèrent ses larmes, elle releva sa tête d’un geste de résolution et elle dit tout haut : — « Si je n’ai pas plus de courage pour moi, comment en donnerai-je à Charles ?… » La vaillante fille allait complètement cesser de penser à elle. Plaindre les autres était l’instinct naturel de cette sensibilité charmante qui, toute jeune, s’était développée par la pitié, en devinant, en partageant les silencieuses et secrètes tristesses de la destinée de son père. Déjà elle ne s’inquiétait plus que de Charles. Elle s’en savait si vraiment aimée ! Elle l’aimait elle-même avec une tendresse qui n’était que dévouement : Comme il souffrirait de la savoir devenue Mme Faucherot et sans avoir pour supporter cette douleur les impérieuses raisons de devoir filial qui la soutiendraient, elle, qui la soutenaient dès cette première heure ! Elle prit la photographie où il était représenté derrière son père et sa mère, dans un angle du cadre. Quoique cette épreuve d’amateur, faite par elle-même lors de son voyage en Provence, ne fût pas très nette et que le jeune homme se perdît dans les ombres du second plan, sa silhouette était bien reconnaissable, ses cheveux, son regard, son sourire, et un certain port de tête un peu sur le côté qui lui était familier. Dans une hallucination, aussitôt évanouie qu’apparue. Reine le vit ainsi, tel qu’il serait, retiré auprès des siens, et se dévorant le cœur de mélancolie, pendant qu’elle serait la femme d’un autre — et