Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/222

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criait sous leurs pieds. Le sifflet des remorqueurs leur arrivait par-dessus les berges de la Seine, toute proche et verte entre ses quais de pierre, et ces bruits ne paraissaient pas plus étrangers au jeune homme que le son des mots que sa propre bouche prononçait maintenant. Etait-ce vraiment lui qui parlait ainsi, et à Reine, à sa chère Reine, entourée jusque-là d’un amour respectueux comme un culte, idolâtre comme une piété ? — « C’est bien, » avait-il commencé. « Je respecterai votre volonté. Je ne chercherai pas à savoir le motif qui vous fait me briser le cœur… Il y a pourtant une question que j’ai le droit de vous poser, et à laquelle vous me devez de répondre : — Dites-moi que vous ne reprenez pas votre parole parce que vous voulez vous marier avec un autre ?… Dites-le-moi, et je m’inclinerai… Je quitterai Paris ce soir et vous n’entendrez plus parler de moi… Mais dites-le-moi. Je veux le savoir. » Il vit qu’elle pâlissait et tremblait davantage encore, mais qu’elle continuait de se taire, et, son délire augmentant par ce qu’il entrevoyait derrière ce silence, il reprit, d’un accent plus âpre et plus dur : — « C’est donc vrai, puisque vous n’osez pas me dire que non ? C’est donc vrai ? » — « Je ne peux pas répondre, » fit-elle d’une voix qui n’était plus qu’un souffle, tant l’émotion l’étouffait. — « Ne pas répondre, c’est répondre, » dit-il. «