Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/241

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étrangère à sa volonté, avec un remords de trahir la confiance de Reine si elle parlait, et cependant une impossibilité de laisser faire le mariage que celle-ci lui avait annoncé. Du moins elle voulait avoir crié au père la vérité. Comment ? Dans quels termes ? Pour la brave créature, dont l’existence s’était écoulée, si monotonement calme, entre des occupations si étroites, si réglées, ces quelques heures contenaient plus d’événements qu’elle n’en avait jamais traversés. Elle avait accepté d’accompagner une de ses élèves à un rendez-vous ! Elle était dépositaire d’un secret, duquel dépendait la destinée de cette élève, qu’elle aimait au point de s’être décidée à ce compromis avec sa conscience professionnelle ! Et ce secret, elle se préparait à le révéler ! Aussi tous les gros traits de son visage bonasse étaient comme décomposés par l’émotion, au moment où elle aborda le père de Reine. Ses lèvres fortes, où flottait d’ordinaire le sourire d’amabilité banale d’une inférieure toujours exposée aux rebuffades, exprimaient une véritable angoisse ; et les mots s’y pressaient, presque incohérents, tout mêlés de formules qui trahissaient les habitudes de parler propres à son humble métier, et d’exclamations suppliantes où se révélait, avec son affolement intérieur, son scrupule de manquer à ses engagements vis-à-vis de Reine. Son passionné désir de la sauver emportait tout : — « Monsieur Le Prieux, » disait-elle, « vous m’excuserez de la liberté… J’ai absolument besoin de vous parler… Je suis une pauvre fille, monsieur