Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/291

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avec tranquillité l’infamie de la nature humaine. Il n’insista pas sur son observation, comme si elle était d’ordre courant, puis, ayant de nouveau regardé dans la baignoire des Le Prieux : « La petite avait d’ailleurs de qui tenir. — Suivons la pièce, mesdames, elle doit être bien en ce moment, car cette rosse de Le Prieux fait semblant d’être ailleurs, et de ne pas écouter. » Et il est ailleurs, en effet, le mari de la « belle Mme Le Prieux », si équitablement qualifié de « rosse » par un des maîtres de l’école de l’observation, lui-même si magnanime, si délicat, si indulgent au talent des autres ! Il est à des centaines de kilomètres de la baignoire où triomphe sa femme et de celle où s’échangent ces propos entre ces deux tristes mercantis d’art et leurs épouses, — à des lieues et des lieues de la scène où des acteurs sans âme détaillent, devant ce public blasé, les vers savamment fabriqués du plus fameux d’entre les charpentiers poétiques d’aujourd’hui. Le chroniqueur dramatique est assis en pensée dans le petit salon du mas, à regarder le sourire de Reine qui lui arrive à travers l’espace, si doux, si tendre, un peu mélancolique à cause de leur séparation, mais si reconnaissant ! Cette vision suffit pour qu’une inexprimable félicité circule dans les veines du vieux journaliste, d’autant plus qu’il a constaté tout à l’heure, à l’entrée de sa femme dans la salle de spectacle, qu’elle obtient encore un de ces succès de beauté dont elle reste si avide. Les yeux mi-clos, il