Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/307

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seront punis dans cette planète ou dans une autre, et Montescot sera récompensé… L’Absolu ne peut pas ne pas avoir raison… » — « En attendant, » avait conclu le docteur Pacotte, qui, s’il était bon républicain, était encore meilleur matérialiste, « comme nous ne sommes ni dans Jupiter ni dans Saturne, et que l’Absolu ne s’occuperait pas à nourrir Montescot, je vais, dès demain, lui chercher des leçons dans ma clientèle… Est-il marié, votre ami ? » Et, sur la réponse négative de M. André phi, « alors nous lui rendrons sa vie ici très facile, en dépit du préfet, du recteur et de la police… Vous me l’amenez aussitôt arrivé, n’est-ce pas, André ?… S’ils ont cru le réduire par la persécution, ils vont rire jaune… » Après de tels discours, ai-je besoin d’expliquer quelle place avait prise aussitôt, dans mes rêves d’enfant, ce Caton moderne, ce Thraséas contemporain, ce Sénèque de Louis-le-Grand, pourchassé par ces tortionnaires mystérieux que je me figurais présidés par le bourreau en chef, ce pauvre Napoléon III, dont la bénigne physionomie, contemplée sur les pièces de monnaie, me déroutait certes un peu, tout enfant que je fusse ! Mais j’avais, pour mon oncle et pour ses amis, un respect follement crédule, plus fort que les évidences. Et puis, si étrange qu’une telle aberration puisse paraître, ces braves gens étaient de bonne foi, en se croyant écrasés par un régime qui leur laissait cette liberté d’opinion et de parole ! Comme la bonne foi des grandes personnes agit de la façon la plus