huissier n’admit que l’étudiant en médecine divertît de ses travaux une seule heure pour donner une leçon, collaborer à un petit journal, enfin gagner de l’argent. L’intensité de son affection lui faisait deviner que, pour un futur savant, les années de jeunesse comptent triple, et que l’entier loisir durant cette période est le plus précieux des biens.
— « J’ai dit à Eugène, » répétait-il souvent, « ne pense pas à nous. Notre bonheur, c’est d’être avec toi… Je ne serais pas Picard si je n’affendais pas avec mon fieu… » Il avait gardé de son origine, — il était de Péronne — de ces mots patois qu’il aimait à prononcer en jouant au rustaud. « Il faut qu’il soit un homme célèbre, » concluait-il, « et il le sera… Je l’ai toujours pensé depuis le collège, monsieur… Voyez ses prix. Il y a quatre-vingt-sept volumes !… » Et de sa main, toute calleuse à force d’humbles services, le père me montrait les dos d’une suite de livres rangés sur les rayons d’une bibliothèque d’acajou vitrée et fermée à clef. L’histoire entière de sa passion pour son fils tenait dans ces pauvres bouquins de collège qu’il appelait quelquefois, — ô naïveté ! — « ses titres de noblesse. » Vous devinez les étapes d’ici : l’enfant va à l’école chez les Frères du quartier. Il est intelligent. Il apprend vite, « C’est dommage de ne pas le pousser plus loin, » dit le Supérieur. Le père et la mère se consultent : « Bah ! on rognera sur le tabac, sur le sucre. On se passera de femme de ménage. » L’enfant est envoyé