Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/33

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partie de théâtre ou de promenade, qui me répondait :

— « Je ne peux pas. Il faut penser à mes vieux… »

Je savais bien que « ses vieux, » comme il les appelait avec une tendre familiarité, n’auraient jamais trouvé un mot de blâme à prononcer contre lui, de quelque façon qu’il eût employé son après-midi ou sa soirée. Non. Ce qu’il signifiait par là, c’était son passionné souci de mériter cet admirable dévouement. Il s’y appliquait d’autant plus qu’il croyait deviner en eux une étrange facilité à souffrir. Et c’était bien vrai que ce ménage de si braves gens ne respirait pas l’allégresse dont ce dévouement, prolongé tant d’années durant, les rendait dignes. Sur le front rouge du père, où les veines en saillie marquaient aux tempes la forte poussée du sang, il semblait qu’il pesât une préoccupation constante. Appréhendait-il de mourir avant d’avoir achevé son œuvre, sans avoir vu son fils agrégé, professeur à la Faculté, membre de l’Académie ? Toutes ses économies avaient-elles été dépensées à cette longue et coûteuse éducation, et sa maigre retraite d’ancien employé, toujours à la veille de disparaître avec lui, constituait-elle le plus clair de l’avoir actuel ? Etait-il simplement un homme d’humeur volontiers chagrine, qu’attristait la santé incertaine de sa femme ? Telles étaient les questions que le fils se posait sans doute, comme je me les posais moi-même chaque fois que j’avais constaté sur le visage de M. Corbières, au cours d’une de mes